La découverte des parents et du nouveau monde du vieux continent
À l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, oh, les roux ne sont pas toujours des petits gnomes !
Christophe s’étonne lorsqu’un grand monsieur roux l’entraîne gentiment par la main.
Et bientôt l’embrassent l’homme très pâle à cheveu peu de chose châtain, lunettes carrées et long nez pointu et la femme d’une fascinante beauté de la même couleur qu’elle, que Christophe n’a jamais vus qu’en photo quand, en Haïti, on lui a montré qu’elle avait des parents à l’étranger, loin en Europe de l’autre côté de l’océan Atlantique.
Profonde panique lorsqu’il s’est agi d’emprunter le premier escalier roulant, mais comme le père assureur tient ses deux petits bras, les petits pieds apeurés qui veulent aller à Paris courageusement avançant, on enchaîne : le couple et Christophe prennent un train, puis un autre qui roule dans l’automne obscuré, puis un taxi qui roule vers la maison, en fait, un appartement. Canapé luisant en skaï blanc, table en verre fumé, chaises chromées façon Bertoia, c’est joli d’être nouveau, mais froid et Christophe tremble qui entend le père, en montant le chauffage, répéter glagla, c’est comme ça qu’ici on dit.
La température de Christophe monte aussi à la découverte, hagarde, de sa chambre. C’est joli, tout petit tout : lit, bureau, armoire, bibliothèque, mais vide, à se demander où sont les autres enfants, frères et cousins ? Le père apprend qu’il n’y a qu’elle, enfant unique. C’est incompréhensible ! Avec des yeux grandes flammes toutes les envies mènent à Paname, Christophe demande alors à voir la tour Eiffel de Paris en France. La mère ne parle pas, c’est le père qui dit qu’ils sont loin de Paris, à Charleroi en Belgique. Christophe se souvient du gros monsieur tout rose à l’accent étrange et de l’histoire de la Belgique, le pays inconnu de la statue dégoûtante du petit garçon qui fait pipi sur une place. Tout ça est impensable ! Considérant la mère qui ne la considère pas, elle grelotte encore plus fort et la pièce danse, floue et étrange, devant les yeux fatigués. Le père, main sur son front, constate : elle est malade, elle a de la fièvre. Christophe ne comprend pas, qui répond que ce sont toujours les autres enfants qui sont malades, pas elle ! Le père dit que ce n’est pas grave, que c’est à cause du froid. Dans le salon, près du radiateur, sur le canapé luisant en skaï blanc, une petite couchette, il lui confectionne, disposant oreiller, couverture et draps verts, comme un nid d’herbe et de lichen, au bord de quoi il se tient, nez pointu, lueurs inquiètes de l’œil noisette ému derrière les lunettes carrées et, au sommet du crâne rosé, le fin cheveu rare, que la sueur fixatrice a plaqué, brille… brille comme l’absence de la mère qui reste dans la grande chambre.
La fièvre est, pour l’esprit dans le fourneau du corps, première et seule fois d’un pays d’apparitions sur elle penchées telles les marraines magiques au-dessus des berceaux dans les contes, visions de visages inconnus, je suis le docteur, tu as la grippe, l’homme qui ausculte dit… Plus loin dans la fièvre féerique, je suis Bénédicte, la voisine de palier dit, fais bien dodo… Encore plus loin, voici grand-père et grand-mère, le père dit d’un couple chaudement vêtu. Et la nouvelle prodigieuse relève Christophe qu’aussitôt embrassent un moustachu rond et sans cheveux qui ressemble au père et une dame magnifique, toute blonde et toute bleue. Grand-père et grand-mère tiennent dans leurs mains des présents. Quant à ce trésor de bénédiction, la mémoire est sûre comme les petits doigts déchirant le papier du lourd cadeau : ceci est un dictionnaire, le père explique. Le second don plus léger, mais pas pour autant petit, s’appelle plumier d’écolier qui renferme stylo à encre, gros Bic 4 couleurs, crayons noirs et crayons de couleur. Comblée, Christophe se rendort.
La fièvre féerique finie, tandis que la mère ne sort pas de la grande chambre, le père, assis à côté de Christophe sur le canapé luisant en skaï blanc, explique une chose très importante, il insiste d’une voix douce, qu’ici, c’est Géraldine, maintenant, que tu t’appelles.
— Ton premier prénom Christophe, ce n’est pas possible de le garder dans ce pays. En Belgique, tu dois savoir que c’est un prénom uniquement de garçon, alors on va utiliser ton second prénom Géraldine qui est bien joli et uniquement pour les filles, parce que c’est mieux, plus simple et puis tes petits camarades ne se moqueront pas de toi dans l’école où tu vas aller après-demain, c’est-à-dire après encore deux fois dormir, tu as compris, Géraldine ?
Ça cogite, s’agite dans la tête : quand on est dans un autre pays, avec des autres parents, grands-parents, maison, vêtements, école, alors on doit changer aussi de prénom et la tête accepte le jeu de la chose qui paraît pas bête que si on a plusieurs prénoms, c’est pour prendre l’avion plus facilement !
À la question des siens, le père répond qu’il en a quatre, le chanceux qui, grâce à eux, peut aller encore plus loin beaucoup en avion.
Le père rit, jugeant bien pensé, et dit que ce n’est pas tout, qu’elle doit également changer de nom, parce que la mère et lui s’appellent Métral, et comme c’est le nom de la famille et qu’elle fait partie de la famille, maintenant c’est aussi son nom.
— Tu as compris, Géraldine Métral ?
Aucun oui ne venant, le père prend une feuille de papier vierge et écrit au stylo la désignation familiale et non familière. Demande qu’on l’écrive à son tour. Avec application, on recopie. Le père demande qu’on le fasse encore et encore. On obéit jusqu’à ce que, satisfait, le père rajoute que comme la mère et lui sont français, avec le nouveau nom de famille, tu es française. Content de dire ça, il s’empare du cadeau des grands-parents sur la table basse du salon. Et Christophe Marhône haïtienne désormais confinée dans la tête, c’est en Géraldine Métral française qu’il faut écouter comment s’utilise le dictionnaire recouvert de tissu rouge et qui est plus gros livre lourd que ceux des pilotes dans la cabine de l’avion. Le père, ayant calligraphié élégamment sur une feuille l’a b c que je connais par cœur, enseigne le considérable de tous les mots de la langue rangés dans l’ordre de l’alphabet, avec leur définition et, même parfois, de-ci de-là des dessins et gravures qui montrent à quoi les choses ressemblent. Après avoir écrit sur la feuille abeille, le père cherche au début du gros livre lourd et lit une phrase incompréhensible où Géraldine entend miel apprécié, sucré et doré à étendre sur le pain. Les jolies pages roses au milieu, le père dit qu’elle ne doit pas s’en occuper, car celles-ci sont dans une langue qui s’appelle latin. Est-ce que le père parle latin ? Qui parle latin et où ? Ayant répondu à ces questions, le père précise que, derrière les pages roses, il y a les noms propres qui s’écrivent avec une majuscule parce que sont les noms des pays, des villes, des gens importants dans l’histoire du monde, comme les présidents, les rois, les reines, les grands inventeurs, les savants, les écrivains, les peintres, les musiciens, les explorateurs et beaucoup d’autres personnes illustres…
— Mais toi, tu ne dois t’intéresser qu’aux mots appelés noms communs qui désignent les choses, tu as compris, Géraldine ?
Pas tout, un peu quand même et afin d’aider, le père pointe aboiement en demandant de lire, c’est facile. Des heures durant de temps n’existe plus, on écrit et cherche maman qui dort toujours dans la grande chambre, papa, maison, stylo, bonbon, robe, lit, canapé et surtout avion qu’évinçant action-Géraldine, vérité-Christophe raconte au père complètement baba, car fana d’aviation envieux de la chance enfant d’avoir vu le ciel assis sur les genoux du copilote copain, à côté du commandant de bord du gros Boeing à bosse. Du coup, il se précipite dans la grande chambre pour en faire part à la mère qu’il appelle Chouchou, c’est son surnom haïtien, laquelle, couchée dans un grand lit en bois blanc sous une grosse couverture bleu profond, lit une revue et ne se montre ni vive ni attentive. En refermant la porte, le père révèle que la mère attend un petit bébé et doit beaucoup se reposer, par conséquent, il ne faut pas la fatiguer et être bien sage.
— Tu comprends, Géraldine ?
Extrait du projet de roman Les fictions schizoriginelles.
On se quitte avec Child in Time de Deep purple :
Sweet child in time
Doux enfant dans le temps
You’ll see the line
Tu verras la ligne
The line that’s drawn between
La ligne dessinée entre
The good and the bad
Le bien et le mal
Comme c’est beau et singulier! Une vison poétique et sophistiquée avec un langage d’enfant, ou presque.
Chère Marilène, je vous remercie de votre bienveillance. Ces appréciations me vont droit au coeur, et d’autant plus que le blog est encore bien jeune.J’ai tardé à vous répondre, car j’ai visité votre website qui donne l’envie de s’y attarder. Je ne puis rendre grâce à votre poésie, mon niveau d’anglais est trop médiocre. En revanche, votre peinture sensible, lumineuse, d’une beauté attachante procure la joie de voir cette Haïti captivante que nous, natifs, voyons et aimons, en dépit de ses paradoxes douloureux et des mots et images dures toujours associés, dans les médias, au pays.Si vous me le permettez, je ferai une publication intégrant votre travail. Je ne sais, pour l’instant, que ce désir porté par le sentiment que vous donnez à voir le visible que beaucoup méconnaissent. N’est-ce pas là, la dignité de la peinture ?