coups de tête

Michelle Zancarini-Fournel : Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours

Une histoire par en bas dense du vécu des oubliés de la France

Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, écrite par Michelle Zancarini-Fournel, editionsladecouverte.fr

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, pourquoi le livre Les luttes et les rêves de l’historienne et enseignante française Michelle Zancarini-Fournel commence en l’an 1685 ? Parce que c’est l’année terrible !

Première page de la copie manuscrite de l’Ordonnance / Edit du Roy ou Code noir sur les Esclaves des Isles de l’Amérique, mars 1685, commons.wikimedia.org

Louis XIV, entendant régner en souverain absolu qui détient tous les pouvoirs (législatifs, judiciaires, exécutifs) et ne souffre aucune contradiction en son royaume, en mars 1685, est promulgué le Code Noir qui scelle officiellement le sort des esclaves aux Antilles (p. 15). Selon l’article 44, les Africains captifs sont :
[…] des « biens meubles », faisant partie du patrimoine, des marchandises pouvant être vendues avec l’habitation de leur maître, leur sort étant lié à celui de la terre (p. 16).

Édit de Louis XIV portant révocation de l’Édit de Nantes, première page, octobre 1685, commons.wikimedia.org

En octobre 1685, Louis XIV signe l’édit de Fontainebleau connu sous l’appellation de révocation de l’édit de Nantes qui met fin aux libertés octroyées au culte protestant, dont les fidèles sont poursuivis, emprisonnés, contraints à abjurer leur foi, prendre les armes, s’exiler…

Zyed Benna, 17 ans et Bouna Traoré, 15 ans, morts électrocutés dans un transformateur, où ils s’étaient réfugiés pour échapper à un contrôle de police

Le chapitre final de l’ouvrage : Agir dans la France néolibérale et postcoloniale (1981-2005), s’achève, en automne 2005, sur l’embrasement des révoltes urbaines éclatant suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, des adolescents qui s’étaient réfugiés par un transformateur pour fuir la police (p. 909). Nous sommes au début du XXIe, mais la réaction des autorités françaises : déclarer l’état d’urgence est dans le droit fil de logique coloniale – guerre d’Algérie (1955) et lutte des Kanaks en Nouvelle-Calédonie (1985).

Entre ces deux bornes, 900 pages, organisées en six parties et dix-huit chapitres, d’un immense voyage documenté dans l’inaperçu des classes populaires et des groupes opprimés… Cette synthèse est une commande des Éditions La Découverte qui a demandé à Michelle Zancarini-Fournel de faire une histoire populaire à la manière d’Howard Zinn et de Marcus Rediker qu’elle cite : « Nous devons nous souvenir, insiste l’historien Marcus Redinker, que de telles horreurs ont toujours été – et demeurent – centrales dans le développement du capitalisme mondial. » (p. 18)
De quelles horreurs s’agit-il ? De l’horreur initiale du capitalisme : la mort de 5 millions de personnes sur 15 millions de déportés africains qui, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, n’ont pas survécu à la traversée effroyable de l’Atlantique, les équipages recourant à une extrême violence pour briser les rebellions.

L’historienne l’intitule Les luttes et les rêves qui est, rappelons-nous, le titre du livre III du recueil Les Contemplations dont les poésies prennent le parti des pauvres dans la description de la misère sociale et morale de l’époque. Que signale ce choix ? L’emprunt à Victor Hugo est l’affirmation du parti pris éthique de celle qui est fille et petite-fille de syndicalistes. Avec intégrité, le chapitre introductif met en avant des éléments biographiques révélateurs de la conscience sociale et l’amour de la culture dans sa famille.

Edward P. Thompson, historien, babelio.com

Après avoir cité l’historien britannique Edward P. Thompson qui insiste sur la nécessité de faire une « histoire d’en bas », conçu comme « un travail de sauvetage de ce qui aurait pu se passer ; un travail de rachat d’autres systèmes de signification qui, ayant perdu leur bataille pour la légitimité, ont été « oubliés » » (p. 11), Michelle Zancarini-Fournel précise : J’ai tenté d’écrire ici une histoire populaire des dominé·e·s, une histoire située des subalternes, qui s’appuie autant que possible sur leur expérience, telle que l’on peut la reconstituer, tout en étant attentive aux cadres sociaux, c’est-à-dire aux contraintes qui ont pesé sur elles et eux.

Le Cri, l’Écrit de Fabrice Hyber, hommage aux esclaves des colonies françaises, jardin du Luxembourg, octobre 2017

L’esclavage moderne est né aux Antilles, dit l’historienne dont l’écriture  accessible, vive et précise, bref, le travail passionnant permet d’approcher ce que la forme glorieuse imprimée au roman national laisse dans l’ombre : un peuple non homogène, divisé, xénophobe et non dépourvu de ressort et de réponses faces à aux forces dominantes. Le récit-monde articule entre elles les différentes conditions subalternes (paysanne, ouvrière, artisane, féminine..), ou minoritaires (protestante, juive, esclave, bagnarde, internée, affranchie, prostituée…).

Michelle Zancarini-Fourne, Les luttes et les rêves, youtube.com

Michelle Zancarini-Fournel est une spécialiste de l’histoire des femmes auteure d’une Histoire des femmes en France, XIXe-XXe siècle, parue aux Presses universitaires de Rennes, en 2005 (lire un article ici). Elle est codirectrice de la revue CLIO, Femmes, Genre, Histoire. Aussi, dans Les luttes et les rêves, le récit chronologique met-il en évidence les figements du système de domination : les invariants de la mécanique de violence sociétale que sont les oppressions de genre (avec la minorisation des femmes et de leurs apports à la société), de classe et l’assujettissement à l’invention de la race infériorisant les populations autochtones, colonisées et postcolonisées et leurs descendants confrontés aux discriminations qui les obligent, au quotidien, à se battre pour l’équité et la réciprocité sociales.

Hommage au Marron Inconnu de Saint-Domingue par Marc Antoine Noël, d’après le bronze monumental d’Albert Mangonès à Port-au-Prince

Le mépris dont ce groupe de sous-citoyens fait l’objet trouve son origine dans les représentations anthropologiques inégalitaires que l’entreprise coloniale a fabriquées et qui conduisent aux répressions brutales des révoltes aux Antilles, en Guyane, en Algérie, à Madagascar, en Indochine, au Cameroun… Une brutalité dont on peine à reconnaître et mesurer la gravité du travail de décivilisation qu’elle opère de manière flagrante ou insidieuse dans la société française contemporaine et dans beaucoup d’autres pays.

S’attachant à la dimension politique du sort des femmes, des prolétaires et des colonisés et à la férocité du capitalisme depuis sa naissance dans les plantations sucrières antillaises jusqu’à sa financiarisation contemporaine, l’exposé général est complété par des lettres, des archives familiales, des extraits de périodiques et de journaux intimes, des chansons, des références littéraires et cinématographiques, des anecdotes… Ces sources secondaires rendent palpables les acteurs de l’envers du décor de l’histoire conventionnelle. On y entend enfin, cette part du réel que la narration officielle passe sous silence. C’est-à-dire les malheurs, les difficultés et les souffrances humaines, mais également les revendications, l’intelligence des événements et les formes variées que prennent les résistances évidentes, coopératives, solidaires, souterraines ou transgressives qui participent, de fait, aux changements sociaux. Car oui, ceux d’en bas, les sans-grades, les minorisées et les minorités appartiennent à l’histoire autant que l’histoire leur appartient !

Seules les couches épaisses de conditionnements socioculturels empêchent de constater l’importance historique des sans-grades, et, a fortiori, de s’en féliciter. Ces conditionnements, souvent inconscients, marchent volontiers de conserve avec le fatalisme consistant à opposer que le mal, l’opportunisme, la prédation, la cruauté ont toujours existé et existeront toujours. Or, supposer que l’intemporalité et l’omniprésence du mal, dire que la dévalorisation de la condition féminine est une donnée séculaire, que beaucoup de peuples ont esclavagisé et colonisé, ce type d’arguments délaisse la question de la construction historique du monde contemporain. À raisonner autour du mauvais fond de l’homme, la posture fataliste paraît intelligente, mais n’est-elle pas une paresse intellectuelle ignorant comment s’est bâti ce que nous vivons ? Autrement dit la dimension culturelle de notre conception pessimiste des rapports sociaux dans laquelle la dévalorisation de la condition terrestre et du corps a une origine métaphysico-religieuse. Négliger que cette représentation idéaliste est une exception, c’est se prévaloir d’une fausse innocence qui est l’alliée des épaisseurs idéologiques interdisant d’envisager une autre manière d’être Européens avec le reste du monde et de forger, comme dit le philosophe sénégalais Soulemane Bachir Diagne, un universel non plus vertical, mais horizontal qui laisserait la parole aux exclus historiques, femmes, ex-colonisés, prolétaires, minorités sexuelles, personnes intersexuées, en situation de handicap, singulières psychiquement… Cet universel, soucieux des conditions dévalorisées, développera les outils conceptuels attentifs à la dimension de sujet de la Nature. Mais pour ce faire, il faut comprendre qu’il y a quelque chose à comprendre… C’est-à-dire entendre les voix silencées et non plus les sommer de continuer à se taire dans le but de faire front commun contre le néo-libéralisme et d’autres causes supposées supérieures. Cette sommation sorcière est abusive, un piège intellectuel dans le droit fil de la logique de domination normative.

La sorcellerie capitaliste, Pratiques de désenvoûtement, p. 36, éd. La découverte, 2005

Il s’agit, en effet, d’une alternative infernale semblable à celles décrites dans La sorcellerie capitaliste Pratiques de désenvoûtement de Philippe Pignarre et Isabelles Stengers qui pointent la capacité systémique du capitalisme à s’inventer en permanence et nous saisir à travers des alternatives infernales du type : si vous demandez des droits supplémentaires, une augmentation de salaire, vous favorisez les délocalisations et le chômage. L’extrait suivant se trouve page 36 d’essai paru, en 2005, aux Éditions La découverte : « Nous avons déjà employé à plusieurs reprises ce terme : mobilisation. Peut-être est-il temps de rappeler qu’il est d’origine militaire. La mobilisation désigne le contraire de l’apprentissage, car les armées mobilisées ont pour premier impératif de ne se laisser ralentir par rien. Il s’agit tout aussi bien de définir le paysage qu’elles traversent en termes abstraits – plus d’habitants, plus de champs cultivés, plus de villages, seulement des obstacles infranchissables ou des possibilités de passer – que de faire taire ceux qui doutent, ceux qui posent des questions, ceux qui objectent ou discutent les ordres – ce sont des traîtres en puissance puisqu’ils risquent de « démobiliser » ceux qui les écoutent. Il s’agit de « marcher comme un seul homme ». Jamais, remarquons-le, « comme une seule femme ». Les femmes (au sens de « genre », non de sexe) seraient-elles plus rétives à la mobilisation ? Nous nous souvenons d’avoir lu que si, en France, on a cessé d’exécuter des femmes bien avant d’abolir la peine de mort, c’est parce que certaines refusaient d’aller courageusement à la guillotine, de faire face à la mort avec la « dignité » des hommes : elles se débattaient, criaient, gémissaient, pleuraient, et cela démoralisait les bourreaux. Nous nous voulons aussi les héritiers de ce refus des femmes d’accepter d’être mobilisées, prises en otages par un intérêt plus élevé (« comporte-toi en homme ! »). »

J’ai observé deux sortes d’absences face aux manifestations quotidiennes du racisme, du sexisme et autres injustices structurelles : les personnes qui, ont intégré les préjugés dont, par conformisme ou par inconscience, elles ne perçoivent pas le caractère non nécessaire, et celles qui, d’être ingénues (nées libres étymologiquement) n’obéissent pas aux injonctions sociales. Ces êtres sont la réfutation du culturalisme – oui, tous ne prennent pas le pli des aspects asociaux de la mentalité. Leur dissidence est émouvante, qu’elle soit puissance heureuse, comme celle de ma grand-mère Victoria ou trajectoire flottante et perdue comme celle des personnages de Marie NDiaye, à propos desquels Mathieu Lindon dit, dans Je vous écris, au chapitre consacré à l’écrivaine française :

Mathieu Lindon, Je vous écris, 2004, éditions P.O.L.

« Que serait une héroïne qui ne s’intéresserait pas à la couleur, ne remarquerait pas celle de la peau des autres ? N’aurait-elle pas raison de ne pas trouver cela primordial ? Est-ce parce qu’ils ne les distinguent pas que les personnages de Marie NDiaye en voient si souvent de toutes les couleurs ? Ils sont vraiment non racistes, ils pensent que la teinte de la peau ne suffit jamais à rendre compte d’un être, ne l’imaginent même pas. » (p. 42-43)

La première catégorie d’absences est caractéristique de la majorité qui doit prendre conscience de l’inaperçu dans sa lecture de la réalité sociale, parfois doublée d’un sentiment d’être privilégiée. Et voilà bien le hic ! Comment lutter contre des injustices qui vous favorisent ? En admettant que les humains sont interdépendants, que cette interdépendance est ontologique, comme le défend le philosophe François Flahault.

« Nous avons vu que l’état de nature de l’être humain, c’est l’état social, qu’aucune personne humaine n’a pas venir à l’existence hors d’un être à plusieurs. En d’autres termes, le sentiment d’exister des individus est tributaire des formes sociales et culturelles de coexistence. Ce n’est pas par hasard – Hannah Arendt l’a rappelé – que le latin employait comme synonyme de « vivre » l’expression « être parmi les hommes » (inter homines esse). De même que l’air est l’élément vital au sein duquel vivent nos organismes, la coexistence constitue elle aussi l’élément vital indispensable à notre existence en tant que personne.
Avoir sa place parmi les autres et jouir d’un bien-être relationnel, telle est pour chacun de nous la première forme de bien.
Le bien commun peut donc être défini comme l’ensemble de ce qui soutient la coexistence, et par conséquent l’être même des personnes. » (p.113-114)

Pour le philosophe et anthropologue François Flahault, la pensée occidentale et sa dynamique progressiste entretiennent la croyance que l’individu précède la société, le mouvement émancipateur valorisant la conception de l’individu comme substance, comme noyau inné. Or, les connaissances humaines actuelles convergent vers la conclusion inverse. La vie sociale précède l’émergence de l’individu dans le processus d’humanisation. François Flahault cherche, notamment, dans l’étude des contes les matériaux permettant de remettre à leur juste place le bien commun qui est d’ordre social et culturel.

Loin d’être régional, le mal structurel qui est fait aux uns rejaillit inévitablement sur le destin des autres. Aussi est-ce au nom de la fraternité qu’il faut clamer l’humanité plus vaste que les représentations normatives et l’existence plus riche, et exprimer une confiance en la possibilité de chacun d’évoluer et d’embrasser le sens de la liberté d’Antoine de Saint-Exupéry dans Pilote de Guerre :

Pilote de guerre de Saint-Exupéry

« Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. Notre unité, au-dessus de nous, se fonde en l’Homme. Ainsi nos discussions du soir, au Groupe 2/33, loin de nuire à notre fraternité, l’épaulent, car nul ne souhaite entendre son propre écho, ni se regarder dans un miroir. »

Le point de vue de Saint-Ex est l’évidence que la rénovation de l’imaginaire collectif ne peut se passer des éprouvés, qui détiennent une connaissance subjective et objective de la formidable capacité du système à inventer de la différence conflictuelle sur base de qualité naturelle ou de critère fantasmé. N’est-ce pas ce qui s’est passé avec la mystification de la race ? L’invention des Blancs et des Noirs où, auparavant, la couleur de peau n’était qu’une caractéristique physique ?

L’historien, essayiste et militant américain Marcus Rediker, history.pitt.edu

Comme  l’historien Marcus Rediker dit, dans une interview, sur le site humanite.fr, la colonisation et l’esclavage ont fabriqué des « Blancs », lorsque, par exemple, les marins qui, auparavant, étaient anglais, français, hollandais, ont transporté les captifs qui sont devenus des « Noirs », mais avant, ils étaient des Fantis, Malinkés, Ashantis… Qu’on ne s’y trompe pas, c’est donc à travers une situation inédite d’une violence inouïe, pour tous, que les individus se sont perçus comme des « Noirs » et des « Blancs », car le sort terrifiant des captifs ne doit pas faire oublier les conditions de travail difficiles, hyper hiérarchisées et disciplinaires, des équipages de marins qui, parfois, choisissent de se mutiner contre cette violence légale, déserter pour embrasser la piraterie, au nom d’un idéal d’égalité subversif que les gouvernements européens n’ont eu de cesse de combattre. Qu’on en soit conscient ou non, on est les héritiers de cette anthropologie aux origines effroyables, dont les figements travaillent nos sociétés. 

N’étant pas fataliste, ni convaincue de la pertinence du concept de nature humaine, illusion occidentale d’après Marshall Sahlins, je m’efforce de comprendre le caractère contingent du passé, les phénomènes actuels d’aliénations de l’homme par l’homme, trouvant leur source dans l’esclavage inventé dès le début de la colonisation des Amériques qui, dans la forme, est aussi un phénomène sans précédent : le colonisateur a, alors, plus que débordé ses frontières pour naviguer loin (comme l’Espagne vers l’île d’Ayiti, les Pays-Bas vers l’Indonésie). N’est-il pas urgent de sortir du déni de la racialisation sur laquelle s’est développée la modernité pour analyser le chemin singulier que l’histoire a pris ? Cette prise en compte du caractère destructeur de la fiction raciale éclaire sur la brutalité du néo-libéralisme, synonyme de guerre économique dont le nombre de morts et de victimes est sous-estimé par l’économisme ambiant. La croyance (au sens religieux) en la race, créant le Noir-marchandise-objet, est une notion inventée, il importante de le souligner, et qui a été conceptualisée dans les universités, propagantisée par le monde politique et économique et esthétisée dans les milieux culturel et artistique. Ça fait quand même pas mal d’énergies funestes dont taire ou minoriser l’acharnement occulte le fait que les populations européennes ne se sont pas mises à, spontanément, penser et agir ainsi. Ce qui signifie qu’elles ne sont pas naturellement devenues occidentales. L’hypothèse du mauvais fond de l’être humain n’explique pas l’extension implacable de l’affabulation politique. S’il est vrai que, oui, cette idéologie, absurde et obscène, n’est plus l’apanage des cultures qui l’ont conçue et théorisée, il est fondamental de réaliser que sa création est liée à l’essor du système capitaliste qui a largement imposé cette forme d’inégalité, laquelle s’est implantée ailleurs ou a été renforcer les formes d’inégalités existantes. Il est aussi fondamental de comprendre que le Noir-marchandise, à savoir le caractère « objectif » de la disqualification légale d’une partie de l’humanité, a éclaboussé la condition des femmes, des prolétaires, etc., et décivilisé tous azimuts : les sociétés colonisées comme les sociétés colonisatrices dont les élites cultivent le sentiment de supériorité écohomicide. Ce n’est pas un hasard si le traitement médiatique est si inéquitable. Qu’il propose sans cesse des parallèles hors contexte. Qu’il compare des pays qui font face à du chaos pérennisé (par exemple Haïti où je suis née), des régions et des nations post-colonisées (celles appelées, en gros, pays arabes, musulmans ou africains) avec les pays, dont la stabilité relative repose sur le déni et la manipulation idéologique à combattre. Sans oublier, dans ces derniers, les vies épuisées par la dynamique socioéconomique, meurtries par la pensée hiérarchique empoisonnant l’imaginaire créatif. L’avenir est du côté du rejet du chant des sirènes de la rhétorique essentialiste, du côté de la pensée de la relation inclusive, faisant place à ces conditions niées tout le long de la modernité : femmes, descendants d’esclaves et de colonisés, prolétaires… Des conditions toujours plus mises en concurrences aux quatre coins de la planète. Il n’y a plus d’ici ni d’ailleurs pour la férocité néo-libérale, comme souligne Patrick Chamoiseau dans son essai Frères migrants.

Edouard Glissant, www.potomitan.info

Cette doctrine asociale peut être dépassée, justement parce qu’elle est contingente, construction imposée de force, par le fer et le feu. Tel est le défi commun ! Suivant la pensée de la mondialité d’Édouard Glissant : Agis dans ton lieu, pense avec le monde !, c’est avec une résistance radieuse qu’on doit veiller à ne pas construire des murs dans sa tête, reproduire le racisme, le sexisme, l’homophobie, le mépris du handicap, de la folie… Bref, cette façon de relation  à l’autre et à soi reposant sur la dépréciation et qui empêche d’explorer la liberté en accord avec le proche et le respect de la nature. Au fond, l’idée d’une culture basée sur la célébration de la richesse plus qu’humaine, largement vivante et dans laquelle tout le monde serait assez conscient pour comprendre le vers de Maya Angelou :
I am the dream and the hope of the slave (Still I rise)
Je suis le rêve et l’espérance de l’esclave

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, Les luttes et les rêves de Michelle Zancarini-Fournel est une analyse dont, j’en suis sûre, l’ampleur et le courage intellectuels feront des petits, une constellation de nouveaux chercheurs-explorateurs du vécu-fantôme des sans-grades et des minorités en butte aux mécanismes d’exploitation de l’homme par l’homme. Ce travail de mémoire est un devoir de présent, car comme l’écrit Howard Zinn dans Une histoire populaire des États-Unis :
La plainte du pauvre n’est pas toujours juste, mais si vous ne l’entendez pas vous ne saurez jamais ce qu’est vraiment la justice.

Grèves à Berry-au-Bac, écluse de la marne, années 1930, editions-zones.fr

Oui, vous n’entendrez pas, ne verrez pas l’appel au respect de la dignité sur la pancarte des ouvriers faisant grève à Berry-au-Bac : Nous voulons être traités comme des êtres humains.

La Révolte est un chant anarchiste attribué à Sébastien Faure qui l’aurait écrit en 1886 :

Couplet 1 :
Nous sommes les persécutés
De tous les temps et de toutes les races
Toujours nous fûmes exploités
Par les tyrans et les rapaces
Mais nous ne voulons plus fléchir
Sous le joug qui courba nos pères
Car nous voulons nous affranchir
De ceux qui causent nos misères

Refrain :
Église, Parlement,
Capitalisme, État, Magistrature
Patrons et Gouvernants,
Libérons-nous de cette pourriture
Pressant est notre appel,
Donnons l’assaut au monde autoritaire
Et d’un cœur fraternel
Nous réaliserons l’idéal libertaire