coups de tête

Qui a apporté le message de fraternité aux Révolutionnaires français ? (2/2)

D’où vient le mot fraternité dans la trilogie Liberté Égalité Fraternité ? (2/2)

Vue du Cap-Français, à Saint-Domingue, actuelle Haïti

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, seconde partie de l’article (la 1re est ici) qui nous ramène à Saint-Domingue où, quand débute la Révolution française contestant l’absolutisme royal, le parti des planteurs blancs revendique l’autonomie de l’île et impose sa politique hostile aux droits des libres de couleur qui font l’objet de violences physiques et sont contraints de prendre le maquis, entendez maronner ou fuir vers la Métropole où, en août 1789, une société des citoyens de couleur est créée. Celle-ci témoigne aux révolutionnaires de la réalité atroce de l’esclavage et réclame des droits égaux pour les libres de couleur et les esclaves.

Louis Gauffier, portrait d'un chasseur supposé être le général Dumas
Louis Gauffier, portrait d’un chasseur supposé être le général Dumas

Sous la pression des colons ségrégationnistes, le 15 mai 1791, à Paris, l’Assemblée nationale daigne accorder seulement le droit de vote à certains libres de couleur. Cette mesure alarme pourtant le parti des planteurs blancs qui proclame l’indépendance de l’île afin de la protéger des idées égalitaristes et autres revendications rebelles. Les esclaves comprennent que la chance est enfin de leur côté, les forces armées coloniales étant privées du soutien des libres de couleur.
Le 14 août 1791 a lieu la cérémonie du Bois-Caïman. Cet événement historique est une réunion d’un grand nombre d’esclaves, sous le signe du vaudou, dans laquelle est scellé le pacte de révolte générale qui mènera à la guerre d’indépendance. Et à la création d’Haïti en 1804.

Lethière, Le serments des ancêtres, rencontre entre Dessalines et Pétion en 1804
Lethière, Le serments des ancêtres, rencontre entre Dessalines et Pétion en 1804
Insurrection des esclaves au Cap-Français.
Insurrection des esclaves au Cap-Français.

Après la cérémonie du Bois-Caïman, les esclaves s’associent aux membres du maquis des libres de couleur et déclenchent, dans la nuit du 22 au 23 août 1791, une insurrection dans la Province du Nord de Saint-Domingue qui, depuis, est traditionnellement la plus rebelle, la région d’où part la contestation.

Esclave_arméL’insurrection des esclaves bouleverse l’ordre établi dans les colonies, sans parvenir à trouver la voie de l’union. Une partie des colons blancs se rallie aux révolutionnaires français, une autre fait allégeances à la Grande-Bretagne qui promet de protéger leurs intérêts racistes. Quant aux esclaves qui se sont libérés, certains s’organisent en groupes armés qui se rallient aux Espagnols colonisateurs de l’autre moitié de l’île, certains restent sur les plantations dévastées dont ils ont tué les propriétaires, d’autres partent s’installer dans la montagne, sur les terres boudées par les riches planteurs, afin des créer des lacous, une économie spatiale inspirée des pratiques agricoles africaines d’indivision de la terre, aménagée en jardins créoles qui sont l’âme de la paysannerie. Ces petites structures d’exploitation basées sur les principes communautaires de coopération du kombit ont, jusqu’à présent, assuré la survivance des cultivateurs haïtiens.

En juillet 1792, afin de contrer le mouvement ségrégationniste, le nouveau gouvernement français envoie Léger-Félicité Sonthonax et Étienne Polverel, deux commissaires civils de la République à Saint-Domingue. Ces hommes politiques sont des abolitionnistes que s’empresse d’attaquer le parti des colons blancs, allié de la Grande-Bretagne. Sonthonax et Polverel doivent leur salut au secours des esclaves. En août et en septembre1793, les commissaires Sonthonax et Polverel proclament la liberté générale dans l’île. L’annonce de l’abolition déclenche une invasion des Anglais, dont la marine est basée en Jamaïque voisine.
Le Nouveau peuple de Saint-Domingue est isolé et veut obtenir l’appui, en France, de la République démocratique montagnarde.

Girodet-Trioson, député Jean-Bapthiste Belley, dit Mars, commons.wikimedia.org
Girodet-Trioson, député Jean-Bapthiste Belley, dit Mars, commons.wikimedia.org

Belley, l’ancien esclave africain, Mills, le libre de couleur et Dufaÿ, l’administrateur blanc venu de France composent la députation tricolore qui est envoyée devant la Convention nationale. Après maintes péripéties, la députation parvient à Paris en janvier 1794.

Une femme admirable a préparé le terrain : Jeanne Odo, une ancienne esclave âgée, dit-on, de 114 ans qui est la doyenne de la Société des Citoyens de couleur dont elle préside les manifestations.

Avec Jeanne Odo à la tribune, les esclaves entre dans la Convention
Avec Jeanne Odo à la tribune, les esclaves entre dans la Convention

Au surlendemain de la Révolution des 31 mai-2 juin 1793, le 4 juin donc, Jeanne Odo a déjà demandé l’abolition de l’esclavage à la Convention en lui offrant le drapeau de l’égalité du derme sur lequel est représenté un noir, un blanc, un mulâtre. Dès lors, l’année suivante, le 3 février 1794, lorsque, devant la Convention des Montagnards, la députation tricolore plaide la liberté fondée sur l’égalité des droits, quelle que fût la couleur du derme, la victoire lui est quasi acquise. N’empêche, conscients du caractère historique de leur mission, les députés tricolores du Nouveau peuple de Saint-Domingue parlent d’une même voix d’alliance entre les hommes, c’est-à-dire de Fraternité.
DeviseLa Convention nationale vote, le 4 février 1794, l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Et la devise républicaine devient Liberté Égalité Fraternité.

Ce principe d’unité du genre humain devrait signifier la fin de l’ordre colonial et des idéologies insanes qui essentialisent les êtres humains et organisent leur exploitation. S’il reste illusoire, c’est qu’avec le racisme, l’Ancien régime a défini un opportunisme modèle servant d’ailleurs à discriminer aussi les femmes, les homosexuels, les pauvres et quantité d’autres conditions dont la valeur est évaluée au premier regard. Premier regard qui suffirait à estimer ce que vaut un être humain. Mais, en définitive, que vaut un être humain ? Comment répondre à cette question, si ce n’est par une histoire — et n’est-ce pas la dignité du roman — peuplée de mystères ? Mystères que rejette le modèle raciste qui crée un groupe privilégié par une caractéristique de naissance, une distinction imméritée. Tout le monde n’a pas les moyens d’être à la hauteur du privilège. Pour en jouir pleinement, il faut l’argent, le savoir, le bon genre, la bonne identité sexuelle… En somme, un certain niveau de standardisation ou de conformité au modèle dominant. Comme cet élitisme est le règne de l’uniformité, l’aristocratie de la pâleur ne se manifeste pas par un esprit de noblesse, à savoir, l’obligation faite, jadis, au noble même pauvre, même hobereau habitant une demeure délabrée, à peine plus vaste que les masures des paysans alentour, de se soucier des plus vulnérables. Avec l’anthropologie raciste, l’Ancien Régime a légué à l’espèce humaine une fiction efficace, puisque jouant sur le sentiment de supériorité, l’orgueil ou l’hybris, dont les vestiges du mauvais génie ensorcellent dans la mesure où sa sorcellerie est une fatalité souvent inaperçue de ceux qui n’ont pas à se demander si leur couleur de peau va disqualifier leurs efforts, les discréditer, les racketter sur le chemin de leurs compétences devenues invisibles. C’est contre l’effacement de leur mémoire, leur créativité, leur talent qu’une partie des êtres passent le temps à lutter. Lutter pour conjurer la négation d’eux-mêmes que la hiérarchisation arbitraire des individus inculque. Lutter contre la culture de l’oubli de l’oubli du passé et du présent de leur expérience. Lutter contre l’amnésie civilisationnelle qui, ou bien dissout la représentation de leurs aïeux, ou bien la fait mentir ou bêtiser pour mieux dévaloriser leurs descendants. Lutter à contrecourant de l’hypocrisie des mentalités minimisant le phénomène et sa complexité. Lutter encore et encore contre la haine de l’autre en l’autre et en soi afin que la devise Liberté Égalité Fraternité soit une réalité, par tous, vécue en chair et en os.
Le contraire du réel est le possible et le possible est, quand même, ce qui peut exister ou qu’on peut faire. Beaucoup l’ont déjà fait, alors cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, rejoignez la résistance fraternelle dont le message a été lancé par la députation tricolore du Nouveau peuple de Saint-Domingue, le pays de l’esclavage où :
L’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture on pouvait à n’importe quel moment le saisir et le rouer de coups, le tuer — parfaitement le tuer — sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne.
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal.

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, dans Talkin’bout a revolution,Tracy Chapman chante :
Finally the tables are starting to turn / Mais enfin les choses commencent à bouger

Talkin’bout a revolution / À force de parler de révolution
Finally the tables are starting to turn / Mais enfin les choses commencent à bouger
Talkin’bout a revolution / À force de parler de révolution
Talkin’bout a revolution / À force de parler de révolution

Une réflexion au sujet de « Qui a apporté le message de fraternité aux Révolutionnaires français ? (2/2) »

  1. La liberté individuelle est la grande valeur affirmée de la Révolution française, l’héritage des Nations gauloises. Mais c’est aussi une réalité artificielle qui ne découle que des efforts des membres de la société.

    La liberté individuelle reste le privilège d’un petit nombre là où elle est rognée par les discriminations négatives. Pas de liberté sans égalité. Mais l’histoire a prouvé que ce n’était pas suffisant.

    La fraternité est la tolérance mutuelle des citoyens en dépit de leurs différences et la volonté de s’entraider face à tous les maux et défis de la société. La fraternité, c’est le fait de se considérer comme un citoyen avant tout et de considérer chaque citoyen comme son concitoyen avant tout. Sans elle, pas de discriminations positives ou de protection sociale : la garantie de la liberté se résume à ne pas empêcher les forts d’y accéder. En fait, sans elle, il n’y aurait plus de Nation, tout simplement. Juste un nébuleuse de groupes rivaux et condamnés à long terme.

    A ce stade, nous devrions nous interroger sur la nature de l’intérêt général. S’agit-il de ne pas entraver l’exercice de la liberté ou de la garantir au plus grand nombre ? Mais cette question en entraîne une autre : quel est l’impact de la concurrence dérégulé ou de l’individualisme forcené sur nos libertés ?

    Souvenons-nous du niveau de libéralisme dont jouissaient les entrepreneurs durant la révolution industrielle. Le reste de la population était-il libre ? Actuellement, on parle sans cesse des libertés patronales. Quid des libertés de salariés telle que la mobilité professionnelle? Les performances socio-économiques de la Scandinavie démontrent pourtant leur importance.

    Le Grand marché transatlantique est actuellement en négociation. Pour reprendre le mot de Jacques Attali, de quelles libertés jouirons-nous au sein de cet « Hyperempire » sans fraternité ?

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