Interview d’Aude Lespagnard, artiste belge et personne adoptée sud-coréenne

30/11/2019

By Christophe-Géraldine Métral

Sur la dimension coloniale de l’adoption internationale

Les vagabonds sans trêves : Bonjour Aude Lespagnard, je vous remercie de tout cœur d’avoir accepté cet entretien sur un sujet aussi personnel, sensible, complexe que l’histoire de votre adoption. Afin de nous ménager un point de départ, je précise que vous êtes artiste belge, sculptrice exactement, enseignante, mère et épouse d’officier de marine, et que vous êtes née en…

Aude Lespagnard, sculptrice belge et personne adoptée sud-coréenne, Bruxelles, août 2018, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Aude Lespagnard : En Corée du Sud, à la frontière entre les deux Corées actuelles. Précisément, dans une petite ville s’appelant Paju qui est située, au nord de Séoul, dans une région près de la DMZ, demilitarized zone en anglais ou zone démilitarisée en français. Là où les soldats nord-coréens et sud-coréens se regardent en chiens de faïence.

Carte de la Corée du Sud, ville de Paju au nord de Séoul, source : Google Maps

Cette zone est un no man’s land séparant les deux Corées. En fait, un vestige bien actif de la Cold War, la guerre froide ?
C’est ça ! Mais, longtemps, je n’ai pas su que je venais de Paju. Pour moi, je venais de Séoul, parce que toutes les adoptions étaient centralisées à Séoul, la capitale.

Aude Lespagnard, Installation, moulin de Beez, Namur, 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Nous nous sommes rencontrées en début décembre 2017, aux Riches-Claires, un espace culturel dans le centre de Bruxelles, lors de la journée de Luttes afro-descendantes, Féminisme LGBTQI+ et antiracisme. Où d’ailleurs j’ai songé que vous étiez, peut-être, Sud-Américaine.
Sud-Américaine, oui, souvent, on me dit ça. Quant à moi, à première vue, j’ai cru que vous étiez un peu Asiatique.

Affiche de la journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, aux Riches-Claires, Bruxelles

Je suis Haïtienne par ma mère, mais, parfois, les Asiatiques me pensent originaire de leur continent, pas de leur pays, mais…
… Mais de quelque part en Asie ou née d’un mélange avec de l’Asie, c’est ce que j’ai pensé.

Yvoire de Rosen, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles

Pour en revenir à notre rencontre dans la journée afro-féministe, puis-je savoir ce qui vous a poussé à assister à cette manifestation ?
Outre le fait que le féminisme est un combat fondamental, il y avait que l’approche de cette manifestation était, entre autres, postcoloniale. Or la Belgique était un pays colonial et est restée un pays colonial. Voyez-vous, l’adoption internationale se comprend dans ce contexte. C’est, selon moi, une suite à la colonisation ou une poursuite de ça.

Aude Lespagnard, Installation, Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

J’ai cinquante ans et dans les adoptions de mon temps, on ne parlait pas beaucoup d’amour, pas tant de désir d’enfants par amour. On avait recours à l’adoption par devoir chrétien ou par conviction idéologique.

Aude Lespagnard, Cocon en fil, détail, 1999, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

C’était juste après la guerre du Vietnam et mes parents adoptifs voulaient une petite Vietnamienne. Cette adoption a presque eu lieu. D’ailleurs, j’ai fait une exposition là-dessus, car je suis sculptrice, et je travaille sur les traces, sur l’adoption et l’identité…

Aude Lespagnard, Cocon en fil, détail, 1999, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Donc je disais que mes parents adoptif voulait une petite Vietnamienne, mais, alors que l’adoption de celle-ci était presque faite, les autorités vietnamiennes ont mis le holà à l’adoption internationale. La dame, qui s’occupait de la procédure d’adoption, a dit : ce n’est pas grave, on commence l’adoption des enfants coréens ou indiens. Mes parents ont trouvé qu’Indien, quand même c’était fort foncé, et ils ont pris une Coréenne. Sur catalogue ! On leur a présenté des catalogues d’enfants ! En trois mois, l’adoption était bouclée.

Yvoire de Rosen, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Si je comprends bien, l’idée était, d’une certaine façon, de faire un geste charitable ?
Oui, tout à fait. C’est ça ! C’est l’idée : faire quelque chose de charitable. Puis d’avoir un enfant. Mes parents étaient alors un couple sans enfant et pour l’époque, déjà d’un certain âge. Ma mère avait quarante ans, mon père un peu moins.

Aude Lespagnard, Cocon en verre, 1999, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Il y a aussi que celui-ci avait des opinions politiques sur le Vietnam. Leur démarche d’adoption est dans la suite logique de la mentalité de la classe moyenne à laquelle appartiennent les parents adoptants. En général, ils sont soit des intellectuelles, soit des chrétiens de la classe moyenne. Dans les milieux ouvriers ou aristocratiques, on a moins recours à l’adoption. Dans la classe, disons, ouvrière, il n’y a pas l’argent et dans les deux catégories, il y a plus de racisme lié, je suppose, à l’importance accordée au sang.

Vos parents exerçaient quelle profession ?
Mon père était prof de langue germanique et ma mère, secrétaire comptable.

Amandine Gay, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Vous arrivez en Belgique en… ?
En avril 1969. J’ai à peu près un an. À peu près… La date officielle pour l’adoption est mai 1968.

Aude Lespagnard, Installation, galerie du Zénith, 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Les vagabonds sans trêves : Vos parents habitent à Bruxelles ?
À Watermael-Boisfort.

Amandine Gay, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Dans l’enfance avez-vous rencontré d’autres petits adoptés coréens ?
Oui ! On se croisait, mais on s’évitait. Un évitement que raconte bien Couleur de peau : miel de Jun Jung-sik, vous voyez, la bande dessinée autobiographique, devenue un film ? Les premières années de ma vie, je crois qu’il y avait des réunions de parents ayant adopté des Coréens. Mais ça n’a pas duré et je n’ai pas rencontré d’autres parents avec des enfants comme moi.

Maboula Soumahoro, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

J’ai des cousins, dans ma famille paternelle, qui ont été adoptés en Corée. Alors, les enfants comme vous font partie de mes souvenirs. À l’école primaire, je les remarque, je sais qu’ils sont adoptés, sans trop savoir s’ils viennent de Corée ou du Vietnam ni oser demander, je suis fatiguée qu’on me jette aussi cette question. Ils ne sont pas nombreux, mais je les vois, ils sont là. Ce que la bande dessinée de Jun Jung-sik et le film Couleur de peau : miel retracent, c’est que l’expérience des enfants adoptés coréens, dans la classe moyenne belge, a été relativement difficile.
Parce que les adoptions, à cette époque, n’étaient pas tellement surveillées. Les enfants arrivaient en terrain, souvent, plutôt moisi… Oui, difficile ! Moi, j’ai été confiée par mes parents adoptifs aux parents de ma mère, lesquels étaient déjà bien âgés alors. En vérité, jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans, j’ai été élevée par des personnes qui étaient nées en 1888. Vous imaginez l’écart générationnel ? La mentalité ? Comment dire, d’un point de vue d’un enfant, c’est vivre plein de choses qui t’ostracisent…

Aude Lespagnard, bébé, photo de son dossier d’adoption, sur le panneau, son prénom coréen : Kim Sae Yung, archive de l’artiste Aude Lespagnard

Vos parents ont-ils pris en considération le fait que vous étiez une enfant, bébé même, qui venait de loin ?
Mais, ce qu’on m’a raconté, je le rattache au contexte postcolonial des adoptions internationales. Un type d’histoire consistait à dire que tes parents étaient trop pauvres ou bien étaient malheureux, mais une autre histoire qui revenait beaucoup et que, normalement, on ne devait pas raconter aux enfants, c’est dire que tu viens d’une poubelle.

Rokhaya Diallo, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxellesn ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Pardon… ? Tu viens d’une… ?
Oui, poubelle ! On te disait : tu viens d’une poubelle. Ce qui signifie que tu n’as aucune valeur. Aucune !

Aude Lespagnard, installation de biscuits, installation of koreangingerbreadmen 2007, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Qui disait ça ?
Mes parents ! Mes parents me disaient que c’était la dame qui s’était occupée de l’adoption, que c’est elle qui racontait ça. Mais le tu viens d’une poubelle, ce récit est quelque chose de récurrent dans la bouche des parents adoptants…

Aude Lespagnard, installation de biscuits, installation of koreangingerbreadmen 2007, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Pourquoi ce récit est-il fréquent, selon vous ?
Cette histoire allège le questionnement sur la provenance de l’enfant. Dans mon cas, voyez-vous, il y a aussi cette autre chose, mais qui n’était pas tellement dite, vraiment exprimée… C’est que, probablement, je suis de races mixtes. Probablement Américano-Coréen. Puisqu’il y a eu la guerre de Corée… Les enfants nés, disons, de rencontres liées au conflit, donc avec des soldats, ont été mis directement en adoptions, car ils sont assez racistes aussi en Corée. Cette première vague d’enfants a été envoyée en Amérique du Nord. J’ai lu, je ne sais plus très bien où, que Jun Jung-sik, l’auteur de bande dessinée, a dit, il y a 15 ans, qu’on était à peu-près 200 000 enfants. Que le gouvernement sud-coréen s’est débarrassé ainsi des bébés nés de relations avec des Américains, puis des enfants nés hors mariage, et aussi des bébés des personnages dites marginalisées.

Aude Lespagnard, Installation, Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Qu’en est-il de votre scolarité ? Concrètement, à l’école, comment ça se passe ?
T
oute petite, avant l’école gardienne, comme je n’avais pas été en contact avec des femmes enceintes, je pensais que tous les enfants avaient été adoptés et que tous les enfants venaient en avion, mais… de pays différents. Je ne sais pas très bien. Je le pensais, confusément ! Ce n’était pas clair. L’école maternelle a été un petit choc aussi. Je n’étais pas du tout intégrée, d’ailleurs j’avais des attitudes agressives. Mais comme j’ai eu la chance d’être adoptée à Watermael-Boisfort, une commune de Bruxelles qui n’est pas raciste, l’école primaire s’est bien passée. J’étais un peu en décalage, mais il n’y a pas eu de problème de racisme agressif, juste les stéréotypes qui pèsent sur les personnes de type asiatique.

Aude Lespagnard, Installation, galerie du Zénith, 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

J’ai appris plus tard de la bouche d’une ancienne institutrice qu’on m’appelait la petite poupée chinoise. Parce que mes parents, j’imagine, m’habillaient de manière fort désuète, avec des petites robes que je ne pouvais pas salir, comme une petite poupée. Des vêtements complètement anachroniques par rapport aux autres.

Petite fille asiatique en robe à l’ancienne, pour l’interview d’Aude Lespagnard, blog Les vagabonds sans trêves

Quant aux professeurs, en général, le regard, ça allait, sauf une professeure qui me trouvait exotique et se montrait paternaliste. De temps en temps, j’entendais : ah, c’est la petite qui a été adoptée et qui vient de Corée… 

Aude Lespagnard, Red Circle, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

À quel âge commencez-vous à vous poser des questions ?
Au début de la puberté. Jusque-là, il y avait une petite marginalisation, mais qui était probablement culturelle, parce que je vivais avec mes grands-parents qui étaient très âgés et mes parents venaient me voir aussi. Donc c’était un schéma particulier, mais qui se rencontrait, au fond, à la campagne où les parents allaient travailler et l’enfant grandissait avec des grands-parents. À l’école secondaire, dans l’enceinte de l’école, je veux dire, je me sentais encore relativement protégée. En revanche, c’était plus compliqué dans la rue ou quand je rencontrais d’autres jeunes dans un groupe que je ne connaissais pas, parce qu’il y avait ces plaisanteries… Des plaisanteries ou des paroles sur le ton de la blague sur les Chinois. Par exemple : qu’est-ce que ça fait un Chinois quand ça tombe d’un immeuble ? Ça fait chiiin toc ! Qu’est-ce ça fait un Chinois quand il est renversé dans la rue ? Ça fait une ligne jaune ! Et six Chinois qui traversent une rue et se font écraser ? Eh bien, ça fait un passage clouté ! Car, en Belgique, les lignes des passages pour piétons, avant, n’étaient pas blanches, mais jaunes.

Aude Lespagnard, Installation, galerie du Zénith, 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

En résumé, beaucoup de moqueries !
Oui, de moqueries à l’extérieur. De ce point de vue, les publicités n’arrangeaient rien. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la pub pour Toyota ? Quand elle est sortie, ça ne manquait pas, chaque fois que j’entrais dans un café, j’entendais OK, avec la même voix que celle de la publicité. D’autres personnes adoptées raconteront avoir vécu ça. Plus tard, en grandissant, j’ai été confrontée davantage à des allusions… Des allusions sur les massages, la soumission supposée des jeunes femmes asiatiques.

Aude Lespagnard, Installation, galerie du Zénith, 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Vous voulez dire que ce qui est évoqué à mi-mot ou indirectement fait référence à des représentations érotiques ou est relié à des fantasmes sexuels.
C’est ça ! Il y a aussi des remarques qui se veulent gentilles : ah, vous avez des beaux yeux, vous avez des beaux cheveux… Puis les gens se permettent de les toucher.

Aude Lespagnard, sculptrice et personne adoptée sud-coréenne, photographiée lors de la soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Ils se permettent de vous dire que les gens de votre pays sont discrets, calmes, intelligents. C’est comme si les performances scolaires étaient bonnes parce que les enfants asiatiques bénéficient de l’avantage naturel d’être intelligents.

Aude Lespagnard, Portraits chromatiques, entre 2007 et 2009, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Des stéréotypes positifs en apparence, mais contraignants qui, en vérité, enferment, piègent l’individu, le naturalise. Ces préjugés sont une prison d’autant plus efficace qu’ils valorisent l’idée de soumission, de docilité.
Oui, l’idée de bon élément docile qui ne peut que réussir. Par conséquence, lorsqu’à l’adolescence, j’ai eu des problèmes à l’école, on m’a fait passer des tests. Pour tout vous dire, j’ai fait une batterie de tests physiques lorsque je suis arrivé en Belgique et une batterie de tests psychologiques, lorsqu’en secondaire, j’ai commencé à rater. La machine s’était grippée… Du coup, on m’a fait passer des tests d’intelligence pour évaluer si j’étais bien normal.

Aude Lespagnard, Installation, Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

À la demande de qui : l’école ou les parents ?
Les parents.

Aude Lespagnard, Installation, Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Pratiquement, comment vous et vos parents êtes réunis ?
Sur la base de ma photo.

Aude Lespagnard, bébé, archive de son dossier d’adoption, sur le panneau, son prénom coréen : Kim Sae Yung

Ce sont eux qui vous ont choisi, pas l’agence ?
Eux ! À ce moment-là, les parents pouvaient choisir dans le catalogue. Mes parents ne voulaient pas un enfant trop noir. Donc, les Indiens, c’était exclu. Parmi les Coréens, ils m’ont choisi parce que j’avais les yeux ouverts et qu’ils étaient ronds.

Aude Lespagnard, Installation, 2011, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

À quoi tient le destin !
Oui, au fait d’avoir les yeux ouverts et ronds, entendez, pas bridés. Il leur importait aussi que l’enfant soit une fille. Il y avait une autre petite Coréenne, mais qui, elle, avait les yeux fermés. Or ils préféraient avoir un enfant qui avait l’air en bonne santé. Qui avait l’air éveillé. Les yeux ouverts ! Par la suite, cette décision m’a valu d’entendre beaucoup de reproches de leur part : ah, si on avait choisi l’autre, si on avait pris la calme, on aurait été mieux… Bon, il faut dire que mes parents étaient assez dépressifs. Longtemps, ils ont été sous médication. Par conséquent, et j’ai dû vous le dire le jour de notre rencontre, je suis profondément, profondément contre l’adoption internationale. Contre le droit de faire ce choix… Évidemment, avoir un enfant biologique peut aussi relever d’un choix personnel ne garantissant pas que la relation se déroule bien. Mais, selon moi, amener un enfant asiatique ou un enfant noir dans un pays raciste, ça ne va pas ! Non, on ne peut pas le faire. Même si on a l’esprit très ouvert, ça ne suffit pas. L’esprit ouvert des parents ne suffit pas pour une vie, une vie d’enfant, puis d’adulte qui va être plongée dans une atmosphère profondément raciste.

Maboula Soumahoro, Rokhaya Diallo, Mireille-Tsheusi Robert, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Il y a aussi ce fait que souligne la réalisatrice française Amandine Gay : l’adoption internationale, c’est l’enfant qui se déplace vers le pays des parents. Allant de soi, c’est donc le flux des enfants du Sud vers le Nord. Des pays pauvres vers les pays riches où on ne se demande guère ce que vit le petit déplacé. Je veux dire son vécu en chair en en os…
Oui, avec la croyance que l’arrivée dans un pays riche ne peut être que profitable pour cet enfant. L’arrivée ne peut être qu’une aide pour lui ! Car : quelle chance as-tu eue d’être adoptée ! Sinon tu serais morte dans la rue ! Ou, pour une fille, tu serais devenue prostituée. Puis, personne n’aurait voulu de toi, puisque tu es mélangée ou bi-raciale.

Rokhaya Diallo, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Vous auriez été une paria. C’est l’idée ? C’est ce qu’on vous a dit ?
 Oui

C’est terrible ! Ce sont des mots dévastateurs…
C’est mon expérience et elle est significative de l’héritage colonial et postcolonial.

Kis Keya, journée Lutte afro-descendantes, féminisme, LGBTQI+ et antiracisme, 2 décembre 2017, Riches-Claires, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Une réalité dont on peine à réfléchir des conséquences personnelles et collectives, à un niveau national comme international.
Voilà pourquoi j’ai été à cette manifestation d’Afro-descendantes.

Dominique Gillerot, Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine, Rodney Saint-Éloi, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Oui, la journée de luttes, incluant féminisme LGBTQI+ et antiracisme où nous nous sommes rencontrées. Parce que toutes ces problématiques sociétales sont liées. Les injustices, les discriminations, les rapports de dominations forment un cocktail et c’est sur tous les fronts qu’il faut du changement ?
Je suis tout à fait d’accord, les discriminations, les injustices sociales forment un cocktail. D’ailleurs, ce jour-là, ce qui m’a frappé, c’est que j’ai rencontré une jeune femme que je connaissais et qui m’a dit : merci de venir nous soutenir ! Ce que je souligne, dans la réaction de la jeune femme est le phénomène de hiérarchisation qu’on appelle colorisme et qui touche aussi les racisés. Car en tant qu’Asiatique, c’est comme si je n’étais pas concernée par la question.

Joséphine Bacon lisant Bâtons à message / Tshissinuashitakana, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Alors à son merci de venir nous soutenir ! j’ai répondu : mais je fais partie du groupe ! Je fais partie de ces personnes qu’on a emmenées, enfants, en Belgique, pour combler un vide. Un vide physique ou familial ou autre… 

Dominique Gillerot, Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine, Rodney Saint-Éloi, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Je vous ai aussi vue, le 21 juin 2018, à la Maison de la Francité, lors de la soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, mettant à l’honneur Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine, des grandes voix appartenant à deux générations de poétesses autochtones.
Je m’intéresse beaucoup aux conditions minoritaires. Ce soir-là, pour le coup, je me sentais plus à l’aise, physiquement… Oui (rires), j’ai plus de traits communs avec des Autochtones !

Aude Lespagnard, Joséphine Bacon, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

C’était assez comique que Joséphine Bacon me dise, ah, tu pourrais être Innue. Considérant la manière dont la langue a été écrasée là-bas, la poésie et l’expression de ces femmes en lutte m’intéressaient.

Joséphine Bacon, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

J’ai été touchée par la langue et la qualité du féminisme de ces poétesses innues qui sont racisées. Il y a le questionnement identitaire aussi. C’est une de mes questions de femme et de sculptrice.

Puis-je savoir quand avez-vous commencé votre parcours d’artiste ?
Dans la vingtaine, en faisant du figuratif, puis j’ai glissé vers le conceptuel. Quand j’étais enfant, j’aimais beaucoup dessiner, seulement je trouvais, à cette époque, que je dessinais mal. Et mon autre passion, c’est la langue française. En même temps que les études de sculpture, j’ai, d’ailleurs, commencé des études de lettres françaises, donc les romanes que je n’ai pas poursuivies. Mais j’ai repris ces études en faisant la formation de professorat de l’Alliance française. J’ai toujours travaillé en maison de quartier, avec des personnes avec peu de moyens pour l’intégration. L’élément qui m’interpellait était l’inégalité, moins des savoirs, que de la possibilité de les exprimer ou d’intégrer certaines choses parce que ce sont des visions différentes ou bien on peut s’en sortir, mais c’est plus difficile. Et cette difficulté est une histoire d’outils, de compréhension, de représentation du monde. En fait, ma trajectoire artistique est essentiellement travaillée par cette question identitaire. Auparavant, j’écrivais beaucoup, puis il y a eu un moment où les mots sont devenus trop faibles ou bien ce que j’avais à exprimer, je n’arrivais pas à le faire en mots. C’était beaucoup plus puissant de l’exprimer en terre. Lorsque je prenais une motte de terre et que la passais dans du treillis, l’écrasement de la terre contre le treillis était bien plus parlant par rapport aux sensations, car j’exprime les sensations plus aisément en trois dimensions et de manière plastique.

Joséphine Bacon, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Avez-vous un sentiment d’exil ou d’être déplacée ?
Déplacée, oui ! Depuis toujours ! En étant métisse, j’ai le sentiment de n’appartenir à aucune patrie ni aucun groupe. L’expérience commune un peu partout, c’est le rejet. Le marquage de différence. Avec les adoptés coréens, c’est : ah, mais tu n’as pas une tête de Coréenne ! il faut entre cinq et trente secondes pour qu’on me le fasse remarquer. C’est très rapide ! En Corée, c’était : you don’t look like Korean, you look like Mexican. Vous ne ressemblez pas à une Coréenne, vous ressemblez à une Mexicaine. Par contre, en Indonésie, en Malaisie, je me sens acceptée. Bon, j’aime bien aller en Asie parce que même si je ne ressemble pas à une Coréenne, je me sens mieux… Au Japon, en Corée, aussi, simplement dans les transports, tout est adapté à mon gabarit : les sièges, les mains courantes. Pour l’habillement, c’est plus facile aussi. Certains Philippins que je croise me demandent si je viens de leur pays. Et aussi si je suis née près d’une base militaire, sous-entendu, si je suis en partie Américaine.

Aude Lespagnard, Installation, 36 origami « salière », évoquant les jeux d’enfants, travaillant le sentiment d’identité perdue et nouvelle, le pli symbolisant la trace, le papier A4, incarnant la correspondance et les courrier administratif, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

En Belgique, vous a-t-on pris, vous prend-on souvent pour une étrangère ?
Oh oui ! C’est la question : d’où venez-vous ? Vous parlez bien le français ! Répondre, évidemment, je parle bien, j’ai été adoptée, eh bien quand j’étais plus jeune, je pensais que c’était suffisant, sauf que non ! La plupart des gens ne comprennent pas. Ils font référence au « côté asiatique ». Ils t’inventent les qualités qui y sont associées, genre vous avez le calme asiatique. 

Joséphine Bacon, recueil poétique Un thé dans la Toundra / Nipishapui nete mushuat, Éditions Mémoire d’Encrier, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Dire que vous êtes arrivée à l’âge d’un an ne suffit pas à vous ancrer ici. Ça ne fait pas sens.
Non ! Peu importe que tu aies fait tes études en Belgique et que tu connaisses le latin et le français mieux qu’eux.

Encore maintenant !
Oui ! Par exemple, dans le bus, les gens peuvent venir me toucher les cheveux. Faire des commentaires, dire, ah, mais quelle masse. C’est l’impression qu’on vous caresse la tête comme on le ferait avec un petit chien.

Aude Lespagnard, sculptrice et personne adoptée sud-coréenne, photographiée lors de la soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

C’est vrai que vous avez petit gabarit qui, je parle en connaissance de cause, n’impressionne pas. Les cheveux qu’on touche sans me demander, je ne supporte pas ! Et, le renvoi constant à l’ailleurs à travers les représentations fantasmées, quand on a une histoire d’adoption ou d’ascendance compliquée, ou que l’origine est perdue partiellement, voire totalement, c’est pesant ! Cette exigence, je veux dire ce sempiternel questionnement néglige la dimension intime. Qu’on n’a pas forcément envie d’en parler tout le temps, surtout au tout-venant. Oui, à n’importe qui…
Vraiment, c’est ennuyeux, c’est pénible de devoir raconter, raconter encore. Maintenait, souvent, je fuis. Je fuis… Seulement, quand tu rencontres quelqu’un, c’est toujours les mêmes questions. Invariablement ! On m’a déjà répondu quand je raconte cette systématique : oui, mais les gens sont simplement curieux. En fait non ! Ils ne sont pas curieux, ils ne poussent pas le questionnement très loin… Ce n’est pas profond.

Aude Lespagnard, Installation, 36 origami « salière », Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Ce n’est pas anodin, dans votre vie sociale, ce questionnement superficiel vous mettant en devoir de justifier l’évidence : le fait que vous êtes Belge à votre façon ! À votre façon qui n’est pas celle de la majorité…
En effet ! Et je sais, maintenant, pourquoi je suis plus à l’aise en travaillant en maison de quartier avec des populations immigrées de toutes les couleurs et venues de partout. 

Vous avez des enfants ?
Oui, deux.

Quel rapport entretiennent-ils avec la Corée ?
Quand ils étaient petits, les enfants se sentaient half and half, moitié-moitié. Comme mon mari n’est pas complètement Belge, il est demi-Anglais, demi-Belge, depuis l’enfance, ils ont entendu parler anglais chez les grands-parents. Et la grand-mère paternelle est protestante, ce qui est une richesse supplémentaire.

Vous êtes allée en Corée ?
Oui, mais très tard.

Aude Lespagnard, Installation, 36 origami « salière », Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Vous rappellez-vous quand le désir est-il venu ?
C’était mitigé. Après avoir accouché de mon premier enfant… Les questions identitaires, nées autour de la vingtaine, et qui étaient un questionnement, comme un gargouillis, toujours présent, mais pas impératif, ces interrogations se sont reposées pendant la grossesse, au milieu de la vingtaine. Après la première grossesse, j’ai contacté quelqu’un. La réponse a pris du temps à arriver. Et je suis retournée en Corée avec un organisme. Par la suite, j’y ai été en famille. Mais avant la Corée, avec les enfants, je suis allée au Japon. Les enfants ont bien aimé le Japon. Et la Corée…

Qu’en est-il de votre premier voyage en Corée… ?
Je faisais partie d’un groupe d’une dizaine de Coréens adoptés qui voyageaient avec leurs parents. Certains allaient retrouver leur famille biologique, d’autres ne la cherchaient pas. D’autres avaient cherché en vain. Mais, au fond, chaque fois qu’on va en Corée, même quand on dit que ce n’est pas pour retrouver les parents biologiques, c’est un voyage qui est…, comment dire… troublant. Troublant au point, non trop pour les filles, mais pour les garçons, d’être dangereux.

Aude Lespagnard, Installation Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Pourquoi est-ce plus dangereux pour eux ?
Je crois que le racisme ici est plus fort à l’égard des garçons coréens qui ont, peut-être, aussi un complexe physique : ils sont plus petits… Quand ils reviennent du voyage en Corée, le contexte belge peut les mettre en grande difficulté psychique. J’avance ça, parce que j’ai quelques amis qui se sont suicidés, pas juste après le retour. Mais un an ou deux plus tard…

Les garçons asiatiques, dans l’audiovisuel, le cinéma, la publicité, on les présente d’une manière pas valorisante, peu séduisante. Ils sont assez dévirilisés, en somme.
Oui, c’est ça. Je n’ai pas la preuve, mais mon intuition va dans ce sens. C’est lié à cette idée que le garçon asiatique a l’air plus féminin. Il y a peut-être aussi cette histoire à propos de la longueur du sexe qui, c’est psychologique, doit les embarrasser. Je me souviens du travail d’un artiste coréen, qui n’était pas adopté, à la Biennale de Venise. J’y vais souvent et je trouve que le travail des Coréens à la Biennale de Venise est assez intéressant. Bref, cet artiste avait travaillé sur la notion de petitesse. Il avait couvert son corps de loupes et d’objets grossissants. Mais il me semble que, pour la plupart des Belges, si leur fils aime une Asiatique, c’est encore bien vu. Une femme d’une autre race, c’est envisageable. Si c’est le contraire, si le petit copain est Noir, Jaune, Arabe ou autre chose… avec tous les stéréotypes associés à ces catégories, je pense que les parents paniquent. J’ai l’impression que c’est plus facile d’être une fille étrangère qu’un garçon étranger dans la vie.

Voyager en Corée, vous a-t-il apporté une forme d’apaisement ?
Oh, comment dire ? C’est troublant ! Sur le moment même, on se dit, non, fini, je n’y retournerai plus, mais chaque fois que je croisais une petite vieille, je regardais, je regardais attentivement… Je regardais si je ne voyais pas, par hasard, une ressemblance. Mais rien que du point de vue gustatif ou olfactif, j’avais l’impression de retrouver quelque chose. Des saveurs… Des odeurs…

Joséphine Bacon, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Vous regardiez les femmes plus âgées pour voir si elle vous ressemblait. C’est la recherche de la mère ?
Oui, de la mère, des parents, de la fratrie, de la parenté…

C’est une bonne chose selon vous, d’aller découvrir ce pays que vous ne connaissez pas, mais auquel la mentalité vous rattache arbitrairement ?
Nerveusement, il faut être prêt. Parfois, on ne l’est pas assez !

Vous êtes allée combien de fois là-bas ?
Trois fois ! Une fois toute seule ou, plutôt, avec ce groupe et la dame qui avait organisé des adoptions et s’occupait des démarches post-adoption. Autrement dit, elle accompagnait les enfants pour leur montrer leur famille, réunir tout ce monde, éventuellement. La deuxième fois, c’était avec mes enfants. La troisième fois, c’était pour exposer. En fait, j’ai exposé plusieurs fois en Corée, puisqu’il suffit d’échanger par Internet, ensuite d’envoyer les œuvres bien emballées par la poste et, sur place, ils organisent les expositions. Donc la dernière fois, là-bas, j’ai fait un test ADN. Puis j’ai aussi visité la ville d’où je viens en 2016. C’était impressionnant ! Déjà que la Corée est un pays raciste… Et la région où je suis née, c’est la campagne… Il y a une partie « ville », mais aussi une partie très campagnarde. Avec des paysannes qui se cachent pour ne pas parler aux étrangers. Quand elles nous ont vus passer, mon mari et moi, elles se sont planquées dans leurs champs ou derrière un arbre. Sinon, oui, les gens sont gentils. Alors me projetant en 1968, je songeais, mince, dans un petit village de cette campagne, une femme s’est mise avec un G.I. ! On n’en sait rien, mais ça a l’air d’être ça… Eh bien, je me disais : il vaut mieux se tirer vite de cette campagne. Parce qu’ils sont très difficiles, rigides dans le domaine des unions. Alors une situation olé olé avec un G.I., vous imaginez ?

Natasha Kanapé Fontaine, soirée Femmes innues : Une nouvelle histoire pour les Premières Nations, 21 juin 2018, Maison de la Francité, Bruxelles, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

La campagne, en mai 1968, dans beaucoup d’endroits, y compris en Europe, comme en France, au Portugal, en Italie, en Espagne, les mentalités étaient plus étroites… Quelle impression vous a fait l’endroit ? C’est beau, où vous êtes née ?
C’est un endroit sympathique. Les employés de la commune étaient gentils. Ils essayaient d’aider, mais je ne suis pas restée assez longtemps pour avoir les papiers officiels. Beaucoup de documents, à ce moment-là, en Corée, étaient, en réalité, le résultat de dessous de table. Par conséquent, les véritables documents ont disparu ou ont été falsifiés.

Il y a beaucoup de personnes adoptées qui font le voyage ou les voyages du retour ?
Il y en a qui ne veulent pas. Pour ne pas blesser leurs parents, notamment.

Natasha Kanapé fontaine, Nanimissuat – Ile-tonnerre, Éditions Mémoire d’encrier, ©Christophe-Géraldine Métral/blog Les vagabonds sans trêves

Parents affectifs ou parents de parole, ce sont les formules que j’utilise ?
Oui, c’est ça, donc leurs parents belges. C’est parce que la relation est bonne avec eux.

Vous avez évoqué la tendance des adoptés coréens à s’éviter, durant l’enfance. Mais, à l’âge adulte, est-ce toujours le cas ? Arrive-t-il que vous vous voyiez ou réunissiez dans le cadre d’associations ou lors d’événements ?
Un jour, la NBC, la télévision nationale coréenne, est venue faire des interviews d’artistes coréens. Là, j’ai eu des contacts. Il existait des associations de Coréens adoptés, mais je n’avais pas envie de les fréquenter. Je ne voyais pas ce que j’allais leur dire. Mais, pour l’interview de la télévision coréenne, en tant qu’artiste, on a répondu à des questions. M’a alors frappé que les artistes travaillaient avec les mêmes ressentis.

Il y a donc des sentiments communs ?
Oh, oui ! Ça m’a fort frappé. D’autant plus quand une amie a regroupé le travail plastique de différents adoptés. C’est une féministe activiste belgo-coréenne, une personnalité très forte qui, maintenant, est au Canada. Elle a publié des livres sur le travail des adoptés coréens et les points communs m’ont saisie. Les concordances… c’était vraiment saisissant ! J’ai alors rencontré des artistes, certains étaient musiciens, plasticiens, comédiens… C’était impressionnant, parce que la télévision coréenne nous avait interrogés séparément, c’était, du reste, assez intensif. Ensuite il y a eu une espèce de table ronde sur le ressenti… Puis, on est allé prendre un verre. Parmi les personnes interrogées se trouvait une fille qui tenait un forum de discussions destiné aux Coréens. On s’est inscrit, seulement quelques mois plus tard, le forum s’est dissous. Pourtant, c’était vraiment très, très, très intéressant et, gai aussi, même si parfois, c’était aussi lourd. Comme à ce moment-là, j’étais prête à rencontrer des Coréens adoptés, j’ai eu le temps d’entrer en relation avec des membres du forum et ces personnes sont devenues des amis et des amies.

Aude Lespagnard, Installation Fil rouge, 2004, Audelespagnardartalbum.blogspot.com

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, en vous invitant à découvrir le site de la plasticienne Aude Lespagnard (ici), je vous quitte avec Children (Dream version) du DJ producteur de musique trance Robert Miles, une chanson instrumentale sortie en 1995.

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