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Interview de Colette Manirakiza, la coiffeuse multiculturelle

La voie du cheveux et de la sagesse

Colette Manirakiza dans son salon de coiffure multiculturelle à Auderghem, Bruxelles, novembre 2017

Les vagabonds sans trêves : Merci Colette Manirakiza d’accepter l’exercice de décryptage de la situation suivante : quand j’étais petite, en primaire, je sentais certains professeurs mécontents que je sois première de classe. Une institutrice en particulier était vraiment désagréable. Quand je me bornais à rester à la deuxième place, elle redevenait correcte. Avez-vous vécu une situation similaire ?

Colette Manirakiza dans son salon de coiffure multiculturelle, Bruxelles, novembre 2017

Colette Manirakiza : Oui, mais j’étais jeune adulte. J’ai été confronté à ce type de comportement dans les concours de coiffure. Des concours, j’en ai fait quatre. Une fois, j’ai décroché le premier prix ; une fois, le deuxième ; mais dans le quatrième concours, j’ai été disqualifiée. C’était une disqualification injustifiée. Je n’ai pas compris. Comment le pourrais-je ? J’ai toujours coiffé, je suis coiffeuse depuis l’âge de huit ans. La décision du jury était arbitraire. Je l’ai accepté. Mais je n’ai plus fait de concours en me disant, la vie continue.

Colette Manirakiza, lors du cocktail qu’elle a offert à ses clients et ses clientes, en juillet 2017, à Bruxelles

Au fond, je ne comprends pas ! Je sais que les gens se comportent comme ça, mais c’est injuste et on n’en a pas le droit. C’est inacceptable ! On est tous humains. On se doit le respect mutuel. C’est un devoir. Qu’on soit petit ou grand, au fond, tout le monde a droit d’être bien traité, de s’épanouir dans sa passion, son talent. Il faut apprendre dès l’enfance à être équitable.

Sébastien Quagebeur, collage, Nelson Mandela, instagram.com

Quel but poursuiviez-vous dans les concours de coiffure ?
La créativité ! J’adore les défis et j’ai toujours eu à cœur de m’exercer et bien de développer mon talent. La coiffure, c’est mon domaine ! Soigner la chevelure, l’embellir fait partie de moi. Depuis toute petite, j’aime cette activité comme d’autres enfants, la danse, la musique, les sciences…

Colette Manirakiza, Bruxelles, décembre 2017

Je suis arrivée en Belgique avec rien en poche, mais avec un cœur gros du désir d’avancer sans mesurer l’effort. C’est une fierté pour moi et pour mes parents. C’est aussi une fierté pour mes clients et mes clientes qui m’ont encouragée, qui ont été là pendant les études et lorsque je passais les concours, et qui m’ont soutenue dans les moments difficiles. Je n’oublie pas les professeurs qui m’ont appris tant de choses dans l’école de coiffure en Belgique. Et ici, j’ai étudié également la gestion. Ces professeurs ont été présents pour moi. Ils n’ont pas regardé ma couleur de peau, ma nationalité. Ni même mon âge. J’étais la plus âgée ! J’avais presque vingt-deux ans ! On m’appelait maman. Et j’étais la maman de la classe, parce que j’avais une enfant.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Le monde me porte, instagram.com

Il y a aussi cette Anglaise d’origine jamaïcaine, Cheryl, une femme formidable à laquelle je dois beaucoup. Elle était ma chef de stage. Cheryl m’a soutenue sur le plan spirituel, moral et matériel et m’a tant appris que j’ai les larmes aux yeux quand je parle d’elle !

Sébastien Quagebeur, collage, Je me souviens de toi, instagram.com

Alors que nous avons eu des vies différentes, dans des lieux différents, elle et moi avons connu beaucoup de blocages. Quand elle est partie à l’étranger, j’ai repris sa clientèle avec d’autant plus de cœur que c’était sa clientèle. Je voulais m’en montrer digne ! Cheryl est une mère fondatrice dont les conseils m’accompagnent tous les jours. Je lui suis très reconnaissante.

Sébastien Quagebeur, collage, Je suis libre, instagram.com

Si à présent, je gère mon affaire et je suis indépendante, avant de le devenir, j’ai fait des stages, beaucoup de stages et, encore avant, j’ai coiffé, poussée par ma passion d’enfant. Alors voilà, je peux dire que je n’étais rien, car j’ai coiffé sans même avoir le diplôme d’aptitude professionnelle.

Sébastien Quagebeur, collage, facebook.com

Je suis passée de zéro à dix, portée par la vocation. J’avais le don en moi ! Un don qui ne demandait qu’à être développé. Et partir de zéro, s’inventer la force d’avancer, de se former, de travailler et, sur le chemin de la persévérance, être disqualifiée, c’est dur ! D’autant plus que j’étais enthousiaste à l’idée des concours de coiffure. Donner toute sa mesure, ça sert à ça, n’est-ce pas, les concours ?

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, instagram.com

C’était quel genre de concours ?
J’en ai fait un de coiffure de mariée, un autre de coiffure de scène. C’est-à-dire de montages qui font appel à la créativité. On nous donnait un thème et on créait. Je mettais beaucoup de moi-même, de ma personnalité. Oui, c’est ça, pour rajouter encore du sens, je me servais du tressage. Bon, les concours de coupe ou de brushing ne me tentaient pas : c’était, je trouvais, trop basique par rapport à ce que je connaissais. J’avais envie d’exprimer l’imagination poussant en moi, de laisser parler mon talent. Je voulais présenter quelque chose d’inhabituel, de jamais vu… N’est-ce pas ça être artiste ? C’est sortir de tes mains une chose qui n’existe que dans ta tête. J’imagine que c’est pareil pour un peintre, un sculpteur… Je voyais dans les concours la possibilité d’explorer de nouveaux chemins.

Sébastien Quagebeur, collage, Jean-Michel Basquiat, instagram.com

Vous voyez, la mode est, pour l’instant, au tressage que je pratique depuis j’âge de huit ans. Mais, pour en revenir aux concours, lorsque j’ai présenté du tressage, avec la maîtrise, toute cette longue pratique, on m’a dit : non, ce n’est pas beau ! J’ai été obligée d’accepter l’avis du jury, mais c’est frustrant. Je sais que la disqualification a été décidée d’avance. Je sais que c’est la voix de la discrimination qui dit : dehors, tu ne mérites pas d’être là, parce que, précisément, tu as bien fait ce que tu as fait. Et cette injustice est trop répandue !

Sébastien Quagebeur, collage, Touchez pas à l’école, instagram.com

Quand on ne nie pas le phénomène, on l’évoque surtout par rapport au monde professionnel.
Mais la discrimination commence à l’école ! L’école fait des divisions. Cette réalité me révolte ! Le respect dû à l’autre ne dépend pas de sa nationalité ou de sa couleur. Le respect est inconditionnel ! Mon père est Congolais. J’ai la nationalité burundaise, alors que je ne suis pas Burundaise. J’ai la nationalité belge et je ne suis pas Belge. Demain, j’aurai la nationalité américaine, je ne serai pas Américaine, parce que je suis citoyenne du monde, avec un esprit ouvert. Je peux aller dans un autre pays, j’ai voyagé et peux encore voyager. Et je sais ce qu’est vivre dans tous les pays. Ce qui permet la paix, ce sont les valeurs universelles de la tolérance et du respect mutuel !

Sébastien Quagebeur, Martin Luther King, instagram.com

Quel type de cheveux coiffez-vous ?
Tous ! J’ai été dans une école de coiffure qui forme au soin du cheveu européen. Mais me borner à un type de chevelure ? Pourquoi ?

Une cliente aux cheveux de type européen et Colette Manirakiza réalisant un brushing, après avoir fait une coupe, Bruxelles, août 2017

Je me dis, en tant que coiffeuse, que c’est comme pour le boulanger qui ne se limite pas à faire que des baguettes, mais fait aussi des gâteaux. Ou le poissonnier qui vend du poisson, vous l’imaginez dire, non je n’ai pas des crevettes, parce que ce sont des fruits de mer ? J’ai appris à m’occuper des cheveux européens, mais je suis une Africaine qui a appris le cheveu depuis l’Afrique. Mais m’en tenir au cheveu afro ? Non, quelle pauvreté ! J’ai préféré me généraliser, coiffer tous azimuts.

Colette Manirakiza et sa fille s’embrassant lors du cocktail offert à ses clients et ses clientes, Bruxelles, juillet 2017

Que le client ait beaucoup de cheveux ou peu ! Qu’il soit Blanc, Noir, Métis, comme, d’ailleurs le sont, mes filles ou qu’il soit Asiatique, tout le monde est bien venu dans mon salon, de l’habitant au visiteur de passage, depuis la personne travaillant dans le corps diplomatique ou une institution internationale jusqu’à celle qui bénéficie de l’aide sociale. Ça signifie que je suis multiculturelle ! Je suis une coiffeuse multiculturelle !

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Mains, instagram.com

Et, je trouve que les gens, qui discriminent une ou des catégories de gens, qui les méprisent, les dénigrent ou les mettent à part, loupent le sens des choses. Faute d’avoir le respect en eux, ils n’ont pas le professionnalisme ! Pas l’amour du travail bien fait ! Parce que si tu es pro et que tu as appris à soigner et à coiffer des cheveux, tu acceptes tout le monde. Et puis, comme l’argent n’a pas d’odeur et les banques n’ont pas de couleur, il vaut mieux s’occuper de tous les types de chevelures. Cet apprentissage se fait sur le terrain, pas à l’école. À l’école, j’ai acquis les bases. Mais j’avais déjà l’expérience que m’a apportée la vocation de petite fille qui tôt a aimé le tressage. La base de l’école et l’expérience de la vocation m’ont prêté la capacité de m’occuper de tout qui vient vers moi, indépendamment de sa qualité de cheveu. Ça, c’est une grande bénédiction ! C’est une grâce ! Les têtes du monde entier passent dans mes mains ! Et je prends soin d’elle avec le même enthousiasme créatif qu’au début. Je suis heureuse de voir les gens heureux de dire : waouh, c’est beau ! Et de ressentir que j’ai des mains fertiles !

Vous êtes née et vous avez grandi où ?
Je suis née et j’ai grandi au Burundi, dans la capitale, Bujumbura. Et je suis partie un temps au Cameroun, puis je suis retournée au Burundi. Après, je suis venue ici, en Belgique, à Bruxelles.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Digital or not ?, instagram.com

Vous dites avoir des mains fertiles qui ont commencé à tresser tôt. Quand précisément ?
J’avais huit ans. Et je coiffais les maïs dans les champs ! Les petits brins des épis qu’on appelle des soies, à mes yeux, c’était les cheveux des maïs. Et les soies, je coiffais ça. Je les démêlais soigneusement. Pour ne pas les casser, je séparais les brins un à un. À partir de huit ans, on me cherchait dans la maison et on ne me trouvait pas. J’avais filé dans le champ du voisin. Pendant que les enfants étaient devant la télé, j’étais au milieu des maïs que je coiffais. S’il y avait eu un appareil photo, on aurait une belle image vraie de l’Afrique : l’image d’une petite fille en train de tresser des maïs. Et cette petite fille appliquée à son amour du tressage, aujourd’hui, elle est artiste dans l’art de soigner les cheveux. Elle a passé des concours et elle a obtenu des prix et elle est connue dans le monde entier, parce que je ne coiffe pas seulement des personnes qui habitent en Belgique, mais des gens venant de partout.

olette Manirakiza, accueil une de ses clientes, lors de son cocktail offert en juillet 2017, à Bruxelles

Vu que j’ai appris à coiffer toutes les chevelures, la personne satisfaite, peu importe son type, va me recommander à un proche, à un visiteur, à un collègue de travail, une connaissance qui vient d’arriver à Bruxelles. Elle va parler de mon salon ou y emmener son visiteur. De ce point de vue, mon salon de coiffure est un lieu de connexion à la planète. Comme il est impossible de savoir, à l’avance, qui va introduire qui, je me dis, le monde est petit. Aussi mon message, c’est d’ouvrir les portes et d’accueillir tout le monde. Il est temps d’arrêter ce qu’on appelle le racisme, les intolérances liées à la haine, mais, bien plus souvent, à l’égoïsme. Vraiment, je ne supporte pas que les choses se passent comme ça.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Rosa Parks, instagram.com

À Bujumbura où vous avez fait vos débuts de petite coiffeuse, des femmes de la famille tressaient ?
J’avais une cousine qui a tressé aussi toute petite. Et ma grande sœur également tressait. Et ma maman a la fibre artistique. Je la voyais faire des nattes magnifiques, des paniers, beaucoup de choses de ses mains. C’était une femme au foyer que je qualifierais de vraie villageoise qui a grandi dans la campagne et a toujours travaillé. Elle nous a élevés avec ce qu’elle était, en mère responsable, africaine, aimante qui fait son devoir de mère et donne une éducation basée sur le respect mutuel et le courage. Elle-même n’est pas allée à l’école, mais elle nous a encouragés à étudier en classe. Ce que je suis aujourd’hui, je le dois à elle et à mon père. À leurs qualités de parents. Mon père, lui, avait un café-restaurant qui était lieu de rencontre des gens de tous horizons. Dans la famille, on est dix enfants d’une même mère et de mon père, on est douze. Mais dire qu’on est une famille de douze enfants ne raconte pas le vécu. En réalité, on était une maison de trente ou quarante enfants. Ça signifie que j’ai eu la chance d’habiter dans l’abondance, dans une maison dont le salon était riche de tout le monde qu’il accueillait.

Colette Manirakiza : « mes clients et mes clientes sont ma famille professionnelle, Bruxelles, juillet 2017 »

Du coup, les clients, les clientes qui viennent dans mon salon, je pense qu’ils sont ma famille professionnelle. Quand je le leur dis comme ça, ils ont les larmes aux yeux. Et ça me fait plaisir, parce qu’on ne grandit pas seul. On grandit avec une famille. À l’école, tu as une famille. À l’église, tu as une famille. Au travail, tu as une famille.

Colette Manirakiza organise un cocktail en l’honneur de ses clients et ses clientes qui sont sa famille professionnelle, Bruxelles, juillet 2017

Ma famille professionnelle, partout où je suis, me suit ! J’ai coiffé dans un salon de coiffure, ces personnes étaient là. Après la fermeture du salon, elles m’ont suivie chez moi. Je leur lavais les cheveux dans ma salle de bains, je les coiffais, elles étaient là. Quand j’ai trouvé cet espace à Auderghem et j’ai annoncé l’ouverture de mon salon, elles étaient là. Aujourd’hui, je cherche à ouvrir une autre adresse et je sais que la famille professionnelle sera là, parce que ce sont des personnes qui m’ont accompagnée pour ce que j’étais et ce que je faisais, non ce que j’avais. Ce que tu as, ça vient après.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Le sourire, instagram.com

D’abord, les gens ont regardé la Colette qui leur ouvre la porte, les accueille en souriant, les coiffe, leur sert un petit café, parle avec eux de choses et d’autres, légères ou profondes, leur accorde de l’attention, du temps pour discuter… Ils ont d’abord apprécié la Colette qui prend son travail au sérieux. Qui surtout aime son travail ! Et les accepte tels qu’ils sont avec leur chevelure et leurs problèmes du moment qui les rend tristes, aigris ou les met en colère. C’est la vie ! Dans une famille, on est comme ça ! Je crois que les choses dont je parle ne valent pas que pour la coiffure. Dans tout travail, on peut être comme ça, mais on doit s’accepter : se respecter mutuellement, au lieu de se dire, je ne veux pas avoir affaire avec lui ou elle, parce que, il ou elle est de telle couleur, telle origine, telle religion… 

Sébastien Quagebeur, collage, instagram.com

Rejeter l’autre avant même de lui avoir laissé la possibilité de te serrer la main, de te parler, d’exprimer qui il est, les jugements sur une catégorie d’individus, censés être toujours comme ça ou ça, n’existent pas dans mon salon. Les gens, qui entrent et découvrent ça, s’y sentent bien.

Comment la petite fille est passée du tressage des maïs au tressage, disons, classique ?
Quand le voisin a récolté les maïs dans son champ, je n’ai plus d’épis à tresser. J’ai décidé de coiffer les membres de ma famille, de cette grande famille. Quand j’ai eu fini de coiffer la famille, j’ai coiffé les voisines proches. Quand j’ai eu fini de coiffer les voisines, j’ai coiffé les domestiques. Tout de suite, j’ai voulu être coiffeuse, mais mes parents n’ont pas accepté. Il fallait que j’aille d’abord à l’école. J’y allais sans conviction, j’avais le sentiment que l’école ne me servait à rien. Je tressais alors gratuitement, car j’avais besoin de faire quelque chose. Besoin du geste et du plaisir de tresser. Mes mains me grattaient, mes doigts me grattaient dès qu’ils avaient fini le travail. J’ai commencé à aller chez les clientes de mes sœurs. À faire mon marketing de petite fille qui disait, laissez-moi vous montrer que je fais ça bien et moins cher ! J’allais chez les gens pendant les heures d’école et après. Comme ils étaient contents du résultat, ils me payaient. Sauf que je n’avais aucune idée de la valeur de l’argent. J’étais toute petite. J’ai fini par tout apporter à ma maman. Elle, très étonnée, a demandé d’où venait cet argent. J’ai expliqué. Maman n’était pas contente. J’ai reçu une correction. Pas deux petites claques ! Non, une vraie correction. Avec le fouet. Maman m’a tapée pour que je reste à la maison. En Afrique, on tape les enfants quand ils font des choses qui ne sont pas tolérables. C’est l’éducation que j’ai reçue et je la comprends. Il faut poser des limites aux enfants. Selon moi, il y a trop de laisser-aller à trop de niveaux ! Que ce soit au niveau politique, au niveau moral, au niveau parental, le laisser-aller est inacceptable.

Néanmoins, il y a un malentendu. Vous sortiez avec un objectif : tresser des cheveux, pas pour traîner dans la rue.
Oui, et j’ai fait comprendre que j’avais besoin de travailler, pas rester à la maison, à jouer avec les autres enfants ou regarder la télévision. Je disais à maman, s’il y avait des émissions sur la coiffure, ça m’intéressait. Un peu comme celle qu’aujourd’hui, on trouve sur Internet. Mais, de toute façon, après, j’aurais essayé de les mettre en pratique, voir si j’y arrivais avec mes dix doigts. S’il y avait eu une école de coiffure, sûr, j’aurais demandé à y aller. Mais il n’y en avait pas.

Colette Manirakiza, les débuts à Bujumbura, au Burundi, archives personnelles de Colette Manirakiza

Alors, j’ai coiffé dans le voisinage, puis de plus en plus loin. Comme une cliente satisfaite et qu’on trouve belle est fière d’avoir ton nom à la bouche, j’ai pu ainsi rencontrer une foule de gens différents. Notamment, les dames âgées qui sont une vraie occasion d’apprendre. Le bouche à oreille m’a valu, à partir de l’âge de douze ans, de coiffer des femmes de notables. Puis, des grandes dames, des femmes de ministres… C’est toujours de cette façon que je fonctionne aujourd’hui : la publicité du bouche à oreille des clientes satisfaites assure encore mon succès. Au pays, je coiffais aussi des femmes qui avaient des maris blancs. Donc, les Blancs, je ne les ai pas découverts en arrivant en Belgique.

Colette Manirakiza, débuts à Bujumbura, au Burundi, archives personnelles de Colette Manirakiza

Quand chez eux, quelqu’un passait déposer un dossier, je les entendais parler d’économie, de politique… J’ai appris comme ça aussi. Il est arrivé également qu’on m’invite dans des fêtes. Si dans mon salon, il y a tous les âges, si je me sens à l’aise avec toutes sortes de gens qui sont à l’aise chez moi, c’est parce que j’ai grandi avec un grand éventail de personnes. J’ai été à la rencontre des gens dans des maisons modestes et luxueuses en manifestant à tout le monde du respect.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, instagram.com

Mais je dois préciser que les personnes âgées ont été mes premiers amis. Ça prend du temps de tresser une chevelure et ce temps, c’est la chance de regarder comme elles vivent, d’être calme et ouverte à leur parole, d’observer leur comportement, comment elles se tiennent, dialoguent, s’expriment. On reçoit alors un enseignement unique. Ces personnes sont une école, des professeurs de vie. Du coup, j’ai commencé des cours du soir. Je suis retourné à l’école, pas pour apprendre la géographie et l’histoire, juste pour savoir écrire mon nom et les noms des clients et des clientes, et apprendre à calculer pour tenir mes comptes. Un point c’est tout ! Sauf que quand on rencontre des gens qui viennent de partout, il vaut mieux de savoir où est leur région ou leur pays sur une mappemonde.

Sébastien Quagebeur, collage, REVEZ (détail), instagram.com

Puis, je me suis dit qu’un jour, j’irai, qui sait, acheter des mèches de cheveux quelque part, peut-être en Chine et peut-être en Italie, au Japon, en Amérique… Voilà, je suis allée à l’école dans ce but. Et j’encourage mes enfants à y aller en s’appuyant sur leurs centres d’intérêt.

Sébastien Quagebeur, collage, REVEZ, instagram.com

N’empêche, je déteste ce qui se passe dans les écoles. Parce que je l’ai vécu. On m’a disqualifiée et ça m’a découragée sur la voie des concours. Je pouvais faire beaucoup et donner beaucoup. Attention, ce n’est pas le fait d’avoir ou pas le prix ! Ce qui marque, c’est l’injustice ! Or beaucoup d’enfants noirs et métis subissent cette intolérance qui les poursuit dans la vie professionnelle. Il faut, absolument, au niveau politique faire bouger les choses. Il s’agit d’un problème humain grave, un problème de société, dont la gravité n’est pas considérée. Comme j’en ai fait l’expérience, je suis vigilante en tant que parent. Un enfant va à l’école pour apprendre et devenir meilleur, pas pour être mis en échec alors qu’il fait bien ce qu’il doit faire ! Il n’est pas acceptable, quand un parent confie son enfant à une école et que la directrice dit, mais qu’elle est gentille, sympathique jolie que, le lendemain, la directrice et l’institutrice ne s’inquiètent pas de la sécurité de l’enfant. Ça s’est passé avec ma fille. Elle aussi a vécu ce problème de discrimination dont on nie l’existence.

Que s’est-il passé ?
J’ai dû changer ma fille d’école primaire, parce que j’ai signalé qu’on l’agressait. J’ai signalé ça et ensuite, pas de réaction de la part de l’institutrice et de la directrice. La petite continuait à rentrer avec des marques plein les joues. On ne pouvait pas ne pas les voir. Des bleus et des longues blessures. Pas des griffures ! Des coups de griffes ! Alors, j’ai parlé à l’enfant qui s’en prenait à ma fille afin que ça s’arrête. Et là, la directrice m’a reproché de me mêler des affaires d’enfants. Ma responsabilité de parent d’un enfant agressé a été niée et, par un retournement de situation, je me suis retrouvée en position de coupable. J’étais devenue fautive de ne pas comprendre que les problèmes entre enfants doivent trouver une solution en parlant entre professeurs et enfants. En somme, j’étais une incapable ignorant les subtilités de la pédagogie. Et pendant le temps de la pédagogie, ma fille rentrait avec des cicatrices et des ecchymoses sur la figure. Une fois, c’est un accident, mais dix ? Un jour, lorsque, à la garderie, j’ai retrouvé ma fille avec de nouvelles blessures pédagogiques, j’ai interrogé la surveillante. Elle a bredouillé ne rien savoir. J’ai donc demandé à ma fille de me montrer l’enfant qui lui avait fait ça. À la petite qu’elle a désignée, j’ai dit, devant l’institutrice de la garderie, qu’elle devait cesser de blesser ma fille et de lui faire du mal.

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Au fond, je me suis dit, peut-être, on ne lui a pas bien expliqué, à cette fillette et je dois lui faire la leçon, en tant que mère. Je lui ai parlé de l’importance de la gentillesse et tout le bien que ça apporte dans la vie. Puis, je lui ai demandé de dire à sa mère de lui couper les ongles le soir même, car moi aussi j’avais des ongles longs et si elle blessait encore à ma fille, je lui ferais les mêmes traces, exactement aux mêmes endroits. Le lendemain, l’enfant est venue à l’école avec les ongles coupés et propres. C’est alors que la directrice et l’institutrice ont commencé mon procès. Dans ma tête, beaucoup de sentiments se sont bousculés ! Surtout cette idée que l’enfant qui brutalisait ma fille était d’origine nord-africaine, mais avec une peau fort claire. Je n’ai pu m’empêcher de songer que l’inverse n’aurait pas suscité autant de complaisance. On n’aurait pas toléré aussi longtemps que ma fille métisse griffe jusqu’au sang la petite fille à la peau claire. Et la maman de la petite à la peau claire, soucieuse de protéger son enfant, n’aurait pas été accusée d’avoir tort. J’étais vraiment heurtée par le tour que prenait l’affaire. Ce qui compte pour moi, c’est la justice divine, spirituelle et physique. À ce moment, j’ai senti que les trois étaient bafouées. La justice de Dieu n’est pas de mon ressort. Mais la justice spirituelle et la justice physique sont les boussoles de mon humanité. Alors, le ton est monté.

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Comment ça ?
J’ai dit à la directrice que j’avais vécu la guerre et les massacres. Que si elle voulait que cette école devienne un champ de combat, elle était sur le bon chemin. Je lui ai dit que j’avais vécu le génocide au Burundi et que je savais comment les horreurs commencent. Je savais reconnaître les signes qui amènent les gens à s’entretuer et à égorger l’autre pour des histoires discriminations, de mépris, de rejet de telle qualité physique ou telle autre. Je lui ai dit que l’injustice accouche de l’injustice et que la violence nourrit la violence. Qu’il fallait être inconscient pour imaginer que le mal fait aux Noirs et aux Métisses s’arrête aux Noirs et aux Métisses. Il fallait être inconscient pour ne pas comprendre que c’était jouer avec le feu, un feu qui finit par brûler tout le monde. Je lui ai dit que j’étais de ces mères qui prennent une machette et sont prêtes à donner leur vie pour protéger leurs enfants. Alors, je ne tolérais pas que mes enfants soient brutalisés parce que le corps enseignant montre le mauvais exemple. Si les petits se battent les uns avec les autres, c’est parce que le corps enseignant, autant dire l’autorité ne les traite pas de façon équitable. Mais ça avait été trop loin. J’ai retiré ma fille de cette école. Je n’avais plus confiance dans l’établissement. D’ailleurs, l’année suivante, la directrice a perdu sa place, elle est redevenue institutrice. Là, je me suis dit : pour ce déclassement, Dieu soit loué !

Colette Manirakiza dans son salon de coiffure multiculturelle, Bruxelles, décembre, 2017

J’entends dire que plus la couleur est claire, mieux on est accepté. Ce qui signifie que les Métisses sont mieux traités dans la société que les Noirs. Qu’en pensez-vous ?
Moi, je dirai que non. D’après ce que je vois et les témoignages que j’entends dans mon salon où je coiffe tout le monde, je ne pense pas qu’il y ait de différences de traitement. Il y a des personnes qui traitent bien les Noirs et les Métisses et trop qui ne les acceptent pas. Et ce trop, son problème est l’égoïsme. Ces gens ne se sentent pas bien et ce sont eux qui amènent les divisions. Ils ne réfléchissent pas ce qui se passe dans leur tête quand ils racontent, je n’aime pas les ceci ou les cela.

Sébastien Quagebeur, collage, Explore yourself with James Baldwin, instagram.com

Au fond, ce sont des gens qui ne sont pas bien dans leur peau. Ils doivent se faire soigner, aller voir un thérapeute et s’ils sont croyants, ils doivent prier afin de retrouver le sens des responsabilités et de la dignité humaine. Ils doivent pleurer jusqu’à la dernière larme de leur ventre pour enlever ces « je ne suis pas eux, je n’aime pas les Noirs ou je n’aime pas les Blancs, pas ceux-ci ou ceux-là ». On ne parle pas des goûts alimentaires et de la couleur des pull-overs. On parle d’êtres humains ! Et de respect !

Sébastien Quagebeur, collage, Trying colors-Diwali, instagram.com

Penser « je ne suis pas eux, je n’aime pas ceux-ci ou ceux-là », pourquoi ? Pour se persuader qu’on fait partie d’une catégorie spéciale, d’emblée meilleure que le reste de l’humanité ? Non ! Moi, je suis Noire, je suis Blanche, je suis Asiatique, je suis tout le monde. Je suis l’humanité ! Tous les peuples et toutes les nations ! Je suis Hutu, Tutsie, Bantu et plus encore… Je suis tous les peuples et toutes les nations, parce que je peux vivre et travailler avec tout le monde. Je peux manger avec la main, avec une fourchette, avec des baguettes.

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Mais ceux qui disent je ne suis pas… pas… pas…, ces gens sont mal dans leur tête et dans leur peau. Il leur manque la conscience de ce qu’est être humain. Ils rejettent leur propre humanité en rejetant celle des autres. Il faut leur rappeler la base, la vérité de la famille humaine. Leur faire savoir que, quand ils étaient enfants, si leurs parents leur ont dit de ne pas tolérer les Noirs, les Métisses, les Marocains, les Asiatiques, leurs parents les ont trompés. C’est un mensonge ! Ce n’est pas de l’éducation.

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L’éducation permet de conserver sa bienveillance d’enfant à l’égard des autres. Inculquer la violence aux enfants n’amène que les guerres, les massacres et la destruction de la nature. Il n’y a pas de racisme ordinaire ! Dès qu’il y a racisme, il y a danger. Le politique doit lutter contre la tendance à ne sélectionner que les membres d’un même groupe pour prétendre qu’ils sont les plus doués à l’école et au travail. Il faut laisser la chance à tout le monde. Le don naît et se cultive partout !

Sébastien Quagebeur, collage, Égypte-Cheikh Anta Diop, instagram.com

Il est urgent d’avoir un vrai débat. Parce que l’excellence des Noirs est niée. Elle est rejetée dans plein d’endroits. À la télévision, au cinéma où est le génie des Noirs d’ici ? Alors qu’ils sont motivés, qu’ils veulent apporter leurs compétences, leurs projets à la société, les Noirs, les Métisses sont bloqués. Après l’école, dans la vie professionnelle, on les bloque. Dans les démarches auprès des banques, on les bloque. Comment veux-tu avancer quand on ne te donne pas le même crédit qu’on donne à l’autre ? Je suis devenue indépendante pourquoi ? Parce que, à l’époque où je cherchais un stage, au téléphone, tout se passait bien et quand je me présentais, on me disait : ah oui, c’est vous ? Autre exemple : à la banque, on m’appelle en regardant au loin, comme si on ne me voyait pas et, pourtant, je me tiens devant l’employé. Je lève la main sous le nez l’homme qui bredouille, je ne sais pas trop quoi, comme si je l’encombrais, qu’il ne s’attendait pas à cette chose incroyable, extraordinaire d’être face à une Noire. La suite, c’est qu’on ne m’accorde pas de prêt. Je soumets un dossier impeccable à la banque qui me voit travailler, depuis des années, payer mes factures, mon loyer dans les délais et… Eh bien, non, ma propre banque me répond, comprenez, madame, votre situation est délicate ! Et tout ça est dit du bout des lèvres ! Comment voulez-vous faire tourner une affaire commerciale ? Avancer dans des conditions pareilles ? Tu ne rates pas, on te fait échouer. On te met en échec, comme si l’échec était ta seule place ou ton histoire. Mais mon histoire, c’est l’histoire de la petite fille qui tresse, avec amour, les soies des maïs dans le champ du voisin. C’est une histoire d’amour et d’artiste ! Et de solidarité aussi, car c’est avec le soutien de mes clientes que je travaille.

Une cliente avec des cheveux de type africain et Colette Manirakiza réalisant un défrisage, Bruxelles, août 2017

Heureusement, Dieu ne dort pas ! J’ai eu le prêt grâce à une femme africaine qui a débloqué la situation. Après le refus de la banque, j’ai dû passer par un intermédiaire, une ASBL dans laquelle cette femme africaine s’est démenée ! Mille et une négociations, ça a été ! Elle a poussé mon dossier, fait pression pour qu’il passe, comme on pompe avec une ventouse pour que l’eau puisse s’écouler ! Par bonheur, j’ai des clientes qui m’écoutent et me comprennent. Elles m’ont aidée à me lancer et, quand il le faut, elles me prêtent de l’argent qui est déposé sur le compte professionnel et le banquier peut constater ces mouvements.

Sébastien Quagebeur, artiste collagiste, Vous Encaissez Les Bénéfices Nous Encaissons les Coups, instagram.com

Au sujet de la gestion courante, j’ai entendu dire que les commerces tenus par des Noirs doivent payer au comptant leurs fournisseurs, tandis que leurs clients bénéficient du délai légal de 30 jours. Le deux poids, deux mesures est, bien sûr, lourd pour la trésorerie. Avez-vous vécu ce cas de figure ?
Ça m’est arrivé plusieurs fois et là encore, des clientes m’ont sauvé la mise. Elles m’ont avancé la somme et j’ai payé le fournisseur. Mais imaginez-vous quelqu’un qui travaille dans un domaine sans ce genre de recours, il ne peut pas rebondir. Il doit mettre la clé sous la porte. Et la fermeture de son commerce envoie quel signal ? Le Noir n’est pas capable… Sauf qu’on bloque les gens depuis l’école jusque dans le monde professionnel qui refuse les candidats persévérants dont les diplômes sont rangés dans les tiroirs, dans des boîtes sous le lit. Nous payons des impôts pour envoyer à l’école des enfants dont les aptitudes ne sont pas valorisées. Il faut que cesse cette culture du blocage !

Colette Manirakiza, tenant les orchidées blanches qu’on lui a offertes, lors de son cocktail, en juillet 2017, à Bruxelles

Culture, parce que ce blocage renforce d’autres blocages. Dans les lieux où on ne tolère pas les Noirs, on peut discriminer les femmes, même à la peau claire. Et puis, on les paie moins ! On peut refuser les personnes en surpoids ! En fait, on écarte ceux qui sortent de la norme ! C’est le triomphe de la subjectivité médiocre !
Oui, de la médiocrité qui sélectionne la médiocrité. Ce pas un comportement professionnel ! Ça nuit à la dynamique commerciale !

Il arrive que les médias traitent de la difficulté pour les Noirs de louer un logement, mais on ne dit pas combien c’est compliqué de louer un cabinet dans lequel pratiquer une profession libérale, un bureau ou un espace commercial pour lancer une affaire.
Exact ! Et quand on entend, à la télévision, à la radio, le taux de chômage, derrière les chiffres, il y a des vies empêchées. On parle de crise économique, mais c’est plus profond.

C’est une crise du sens ?
Oui, tout le système est tiré vers le bas. Il est déprimé ! Il suffit d’observer dans la rue, les gens, même jeunes, sont gris, ridés, fatigués. Dans mon salon, pendant que je les coiffe, certains me racontent, avec pudeur, à demi-mot, qu’ils ne parviennent pas à s’en sortir à la fin du mois. C’est une honte ! Je me dis que si on ne m’avait pas bloquée, si on m’avait laissé développer une grande entreprise, je n’aurais pas embauché que des Noirs et des Métisses, mais tout le monde, parce que je suis une coiffeuse multiculturelle. Mais les liens que je fais entre les différentes situations en Belgique, en Europe et en Afrique, beaucoup de gens ici ne parviennent pas à les faire, parce qu’ils sont bloqués. Ils ne sont pas nés ainsi. On les a bloqués dans l’enfance ! D’ailleurs, ils disent volontiers, je n’y arriverai pas. Ils répètent, je ne vaux rien ! Moi, celui qui me bloque me donne envie, il me donne envie de trouer le toit pour sauter. Je sais que cette énergie ne vient pas de moi, c’est le Tout-Puissant qui me la prête, car j’ai la force de pardonner à celui qui me fait mal. J’avance par le pardon ! Et pour la personne qui ne croit pas en Dieu, qu’à cela ne tienne, il y a l’équité et le respect mutuel : ce sont les bases de la justice et les valeurs universelles de la vie en société.

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, les œuvres qui accompagnent cet entretien sont de l’artiste collagiste Sébastien Quagebeur, un membre du Collectif James Baldwin, que vous pouvez suivre suivre sur Facebook ici ou sur Instagram ici. On se quitte sur le cultissime She’s A Rainbow des Rolling Stones :
She comes in colors everywhere,
Elle arrive toute rayonnante de couleurs
She combs her hair, she’s like a rainbow
Elle peigne ses cheveux, on dirait un arc-en-ciel
Coming colors in the air, oh everywhere
Répandant ses couleurs dans les airs, oh partout
She comes in colors
Elle arrive rayonnante de couleurs