entretien compris

Entretien avec Jack Exily sur Les chroniques de Simon Soul #2

Simon Soul, hors du commun et l’esprit libre

Les chroniques de Simon Soul #2 de Jack Exily, couverture de l’album, soulnetworks.org

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, Les Chroniques de Simon Soul #2 vient de paraître en janvier 2018. Son créateur Jack Exily dédicaçait ses ouvrages au Salon du livre de Paris. Occasion de demander au dessinateur qui, l’automne passé, nous a accordé une interview (lire ici), quoi de neuf avec Simon Soul, ce personnage « mélange d’Aimé Césaire et d’Emiliano Zapata ».

Jack Exily, auteur des albums Les chroniques de Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

Les vagabonds sans trêves : En quoi le nouvel album des Chroniques de Simon Soul prolonge-t-il l’esprit du premier ancré dans un lieu, mais non dans les lieux communs ? 

Jack Exily : Du point de vue chronologique, j’avais terminé le tome 1 sur les attentats de novembre 2015, à Paris. Donc je commence le tome 2 avec le traitement médiatique des crises sanitaires dans les pays du Sud. La façon dont les médias rendent compte des épidémies des virus Ebola et Zika… Et en même temps, il s’agit de s’intéresser à ces épidémies sur le ton du précédent album ! C’est dire que Simon Soul est toujours aussi critique. Il pose toujours les bonnes questions ou les mauvaises, ça dépend de l’angle sous lequel on analyse. Simon Soul est toujours accompagné de ses copains, compère Lapin et compère Mulet. Simon Soul est une sorte d’avatar, un double sublimé qui est écrivain qui est bien meilleur que moi. Et je pense que compère Mulet est le personnage qui me ressemble le plus. Compère Lapin et compère Mulet sont des archétypes traditionnels des contes, des proverbes et de l’imaginaire fictionnel. Comme des figures quasi mythologiques du patrimoine créole.

Qu’est-ce qui les caractérise ?
Le lapin est un personnage assez universel, mais sa particularité symbolique aux Antilles, c’est qu’il est le plus espiègle. Dans la mentalité de chez nous, c’est un peu la représentation de ce qu’on appelle le mulâtre. Le personnage malin, qui n’hésite pas à tromper son entourage.

Jack Exily, dessinateur BD et illustrateur, dédicaçant ses ouvrages au Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

Le lapin a le côté rusé ou roublard du renard ?
Dans notre tradition, c’est ça. Et le mulet est un ancien esclave qui acquiert sa liberté à force de travail.

Le mulet est un affranchi ?
Oui et j’en ai fait un affranchi qui, grâce à son travail, s’est acheté des terres et est devenu un paysan, parce qu’il est très attaché à la terre, aux choses concrètes. Ce compère Mulet n’a, a priori, rien à voir avec Simon Soul qui est plutôt une sorte d’intellectuel un peu aventurier.

Jack Exily, auteur des albums Les chroniques de Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

D’où l’intérêt de les faire dialoguer ?
Bien sûr ! Et dans compère Mulet, je mets une partie de ma joie de vivre, puisque ce personnage se retrouve dans un milieu où il n’est pas censé être. Je me sens beaucoup comme ça. Rien ne me destinait à faire de la bande dessinée, à participer à des salons, à faire des livres. Je me force à le faire, parce que ça me plaît, parce que c’est un peu ma bouée de secours dans un monde que je ressens assez oppressant, mais dont je tends à me libérer grâce à mes dessins, mes chroniques, aux histoires que je raconte autour des contes créoles qui imprègnent l’univers de Simon Soul. Ces personnages ont vocation à dire, sous forme humoristique, des choses très graves pour tout le monde.

Les Chroniques de Simon Soul #2 de Jack Exily : Simon Soul et Compère Mulet, page 59 de l’album, twitter.com

Quelle est la qualité ou la particularité de votre compère Mulet ?
Il est terrien, il a des valeurs paysannes. Il aime la bonne chère, la vie en général. C’est un ami très fidèle. Un combattant farouche, aussi. Même face à des forces ou des choses qui le dépassent ! C’est sans doute le personnage le moins lâche de l’univers de Simon Soul. Mais, dans Les Chroniques, j’en ai fait une sorte d’adorateur d’Hillary Clinton. J’ai trouvé ça drôle qu’il soit comme un fan, ébloui par sa plastique, parce qu’au fond, aux élections américaines, à tout ça, il n’y comprend rien. Et ça en fait un personnage drôle et assez attachant.

Y aura-t-il un tome 3 Des chroniques de Simon Soul ?
Je ne sais pas… Je voulais chercher à comprendre certains sujets et j’ai l’impression d’avoir bouclé la boucle avec ce projet d’analyse du traitement de l’actualité, grâce à Simon Soul qui apporte un autre regard, une autre grille d’interprétation. À présent, j’aimerais me tourner vers l’histoire, vers des personnages emblématiques ou problématiques du monde noir. Et puis revenir aussi vers la fiction avec les contes et, en explorant la veine fictionnelle, pouvoir dire des choses graves sur la condition humaine.

Comment je suis devenu Simon Soul de Jack Exily, couverture de l’album, soulnetworks.org

Vous avez qualifié, précédemment, le monde comme étant oppressant. Quand on parle de l’oppression, on pense à l’exploitation de l’homme par l’homme, mais un des corollaires de ce mécanisme est la fabrication de l’impuissance de ceux que le système ne peut pas exploiter.
Exact ! Par exemple, pour la réalisation des albums Comment je suis devenu Simon Soul et Les chroniques, j’ai travaillé avec une petite équipe de passionnés, dont des artistes d’origine sénégalaise. Et ces talents ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Je pense à l’un d’eux qui a passé la trentaine, qui est motivé, oui, ne rechigne pas sur le travail. On n’avait pas d’heure ! Je pouvais envoyer un SMS demandant, à 22 heures serais-tu prêt à ce qu’on bosse par téléphone et il répondait oui. Et il tenait ses engagements ! Donc, il y a un manque de reconnaissance des talents qui n’ont rien à envier à d’autres qui sont, oui, Blancs…

Vous voulez dire physiquement et socialement conformes ?
Oui. Et mon souhait serait de pouvoir les engager à plein temps sur des projets dont je sais qu’ils seront bien menés, bien réalisés. Avec cette petite équipe talentueuse, il y a une telle énergie. Puis aussi, ils sont formés, compétents pour faire ces choses.

Jack Exily dédicaçant Comment je suis devenu Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

La maîtrise, l’excellence est présente ?
Et la passion ! Parce qu’au départ quand on fabrique un livre, on avance petit à petit, à l’aveuglette. Surtout à mon niveau ! Même si j’ai une certaine expérience, ça fait bien 25 ans que je fais ça. Mais, vraiment, avec ces types qui s’investissent, on est content du résultat final. Idem pour la refonte de mon site. Or ces talents sont négligés… Ils pourraient travailler pour Fluide Glacial ou pour Le Monde et on ne leur ouvre pas la porte ! Bon voilà, ils se débrouillent, ils se débrouillent, mais je trouve qu’il y a une sorte de gâchis de talent.

Talents gâchés, c’est le titre d’un livre analysant cette question, dont j’ai parlé sur le blog (lire ici)
Il faudrait qu’ils se regroupent, qu’ils trouvent quelqu’un, un courageux qui puisse fédérer leurs énergies…

Simon Soul en route pour le Festival de la bande dessinée d’Angoulême, dessin de Jack Exily, twitter.com

Un courageux ?
Parce qu’il faut savoir qu’au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, quatre-vingts, si pas quatre-vingt-dix pour cent des structures sous les bulles ou les chapiteaux comme celui où je suis, sont des structures associatives. À Angoulême, à côté des bulles des mastodontes, Dargaud, Delcourt, Glénat, etc., dans lesquels le public fait la queue pour se faire dédicacer un album par un grand nom, il y a les autres bulles. Et dans les bulles comme la nôtre, même pour des gens qui vendent bien, eh bien, les albums sont édités par des structures associatives. Voilà, le livre que je vous ai offert : Lanmou, c’est une structure associative qui existe depuis vingt ans.

Lanmou de Jack Exily, La Cafetière éditions, collection Crescendo, soulnetworks.org

Cette structure a publié un auteur qui marche très, très bien, maintenant, ça reste une structure associative. Son fondateur est resté bibliothécaire. Il a publié plein d’auteurs comme moi, et aussi des Belges, des Néerlandais… Ce que je veux dire, c’est qu’avec une structure associative, on peut être moins frileux. Mais même les structures associatives ont une logique de marché. Que je critique d’ailleurs, entre nous, quand on se rencontre, quand on va déjeuner…

Les Chroniques de Simon Soul #2 de Jack Exily, pages 42 et 43, facebook.com

Mais la logique de marché, ne s’agit-il pas d’une formule qui occulte des représentations figées alimentant des peurs. Des peurs qui peuvent être non fondées aussi. De sorte que, pour se rassurer, par exemple, les entreprises optent pour le conformisme, en se disant, on n’a pas le choix, mais c’est un choix. Le choix du conformisme.
Vous parlez des entreprises, moi, je parle de structures associatives où, à la base, c’est une bande de copains, des types passionnés qui montent la structure la plus légère d’un point de vue juridique.

Dessin satyrique de Jack Exily, sur le scandale des Panama papers, facebook.com

Et ils sont si attentifs au marché ?
Oui, bien sûr ! Et je le suis également ! Vous avez demandé s’il y aurait un tome 3, ce n’est pas tant un problème de moyen que de temps et de disponibilité. Puis j’ai un distributeur maintenant. Entre guillemets, je dois rendre des comptes. Là, on m’annonce qu’on va pouvoir être présent sur des plateformes. Et comment dire ? J’ai connu ça déjà. Alors, je me dis, bon, d’accord, mais quand on met un Noir sur la couverture, on a déjà divisé par deux le nombre de lecteurs.

Simon Soul, héros créé par le dessinateur Jack Exily et dont l’univers satirique est animé par les figures des contes créoles, facebook.com

Mettre un Noir sur une couverture, oui, mais ça dépend de quel Noir, donc de quelle personnalité ou figure et de comment cette personnalité ou figure est promue ?
Ça dépend aussi de quel pays !

Tout à fait. Seulement avec Black Panther, ne voit-on pas qu’un casting cent pour cent noir peut devenir un succès planétaire ?
C’est un film ! Un film américain ! Si vous faites un tour au rayon BD de n’importe quelle grande librairie ou enseigne française, vous verrez…

Jack Exily, dédicace de l’album Les chroniques de Simon Soul #2, Édition Networksis

Je suis d’accord avec le constat. Mais, combien de fois, avant qu’un film ou une autre œuvre ne devienne un succès, les porteurs du projet ont entendu : non, on ne l’a pas fait, on ne le fera pas ! Donc, il y a un moment donné où on ne sait pas que la chose est faisable. Je pense que c’est ça, l’argument de la logique du marché, la logique du marché, c’est de ne pas savoir que c’est faisable !
Histoire d’abonder dans ce sens, je dirai que j’ai un pote qui est plutôt dans l’univers du foot et lui y croit beaucoup à Simon Soul. Il dit que c’est le Tintin noir.

Votre ami interprète l’univers de Simon Soul à travers les codes ou les repères du grand public…
Oui, les repères du patrimoine de la BD. Et je me dis, tiens, Simon Soul est lu ainsi ? Ça pourrait être ça ? J’aimerais bien. En matière de représentation, c’est intéressant ! Raison pour laquelle je suis en train de m’effacer derrière le personnage. Je suis en train de sortir d’une politique d’auteur pour aller vers une politique de personnage. Black Panther me convainc que j’ai raison.

Jack Exily et un fan de Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

Raison de s’ingénier à ouvrir les repères, déplacer les frontières, plaider et œuvrer pour d’autres possibles…
Et on en revient toujours aux moyens. On en revient toujours aux gens talentueux dont il faut fédérer l’énergie. Et ce matin, avant de venir, je songeais à la nécessité de créer un club. Au fond, le club existe déjà de façon informelle, mais on va l’officialiser. Je vais en parler au jeune graphiste, au webmaster, au pote scénariste, au correcteur et à d’autres, de toutes origines, avec lesquels j’ai travaillé. Et la question n’est pas tant un problème de moyens que celle du comment fédérer ces énergies de qualité pour créer un système, un autre système.

Jack Exily et un lecteur montrant la dédicace de l’album Comment je suis devenu Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

Parce que dans le monde tel qu’il est organisé, la difficulté est que l’idéologie du courant dominant, de la pensée mainstream tend à détruire, disqualifier les choix et les chemins autres, les réalités et fonctionnements différents. 
À quinze ans, je lisais des BD, mais bien d’autres choses aussi. Comme la biographie d’Akio Morita, ce physicien qui est le cofondateur de la compagnie japonaise Sony (page Wikipédia ici).

Akio Morita (1921-1999), physicien et homme d’affaires japonais, cofondateur de la compagnie Sony avec Masaru Ibuka, commons.wikimedia.org

Je me rappellerai toute ma vie cette phrase que Morita écrit à propos de sa situation, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que son pays est dévasté, c’est ça, le Japon partiellement détruit, et il dit : j’ai mis mes composants électroniques dans le panier de mon vélo, j’ai enfourché ce vélo, j’ai baissé la tête et j’ai pédalé. Ça fait bientôt plus de trente ans que j’ai lu cette phrase. Et c’est elle qui m’est venue à l’esprit, ce matin quand je songeais à officialiser ce club fédérant les énergies.

Jack Exily et un lecteur montrant la dédicace de l’album Comment je suis devenu Simon Soul, Salon du livre de Paris, 18 mars 2018

Elle est puissante, cette image de l’homme, au milieu de son pays dévasté, qui, avec son petit matériel, pédale, tête, baissée, sur son vélo. À l’inverse d’un Japon, trop souvent à tort, associé à l’héroïsme impitoyable, elle est l’image de la persévérance constructrice.
Oui, la persévérance de celui qui cherche à créer son propre système. Steven Spielberg, ça vaut ce que ça vaut maintenant, mais il a créé son propre système. George Lucas, pareil ! Ce sont des types qui, au départ, ce sont vu répondre, enfin, mais qu’est-ce ce que vous venez nous emmerder avec vos trucs bizarres ! Vos trucs qui ne ressemblent à rien de ce qu’on a déjà fait, ça ne va pas marcher. Aussi, je pense qu’au lieu d’aller vers le système mainstream qui exclut et dévalorise les Noirs et bien d’autres, il vaut mieux se fédérer, créer des clubs, rejoindre des associations qui valorisent les compétences et qui soutiennent des entrepreneurs ouverts d’esprit, désireux d’embaucher des gens pour leurs aptitudes et leur valeur, et ce indépendamment de la couleur de la peau, du genre et autres critères méprisant l’humain…

Jack Exily, dessinateur BD et illustrateur, 20 mars 2018, Paris

Né dans le sud de la Martinique, Jack Exily est dessinateur satirique, auteur d’albums de BD, de contes, ainsi qu’éditeur et conférencier. Ce grand voyageur a illustré des livres de jeunesse, dont Sina et son nuage et Sina et le secret de la Caraïbe (un récit en quatre versions, française, créole, anglaise, espagnole). Vagabondez-vous sur son site internet soulnet.org et suivez son actualité sur Facebook et sur Twitter.

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, c’est le printemps, la période du renouveau, les choses bougent, les énergies évoluent, les lumières s’intensifient, c’est dans les cordes de la vie, c’est dans ses cordes que de se ranimer. Alors on se quitte avec Groundswell tiré de l’album Towards Language (2017) du trompettiste norvégien Arve Henriksen dont l’œuvre, à la croisée de la musique électronique et du jazz, mieux, aux confluents inventés de toutes les musiques, présente quelque chose d’unique. D’inclassable ! De véritablement fascinant…