coups de tête

Les belles dynamiques de Mwanamke collectif afroféministe belge

Le brunch des Mwanamke ? à savourer sans modération !

source : Page Facebook Mwanamke collectif afroféministe belge

Cher tout le monde, femmes hommes et tant d’autres, le 8 mars 2016, Mwanamke collectif afroféministe belge a vu le jour.

La créatrice et ambassadrice médiatique du collectif est Yvoire de Rosen.

Yvoire de Rosen, Facebook d’Yvoire de Rosen

Anthroposociologue de formation, Yvoire de Rosen est présentatrice sur la chaîne de télévision BX1 et MC incandescente d’événements d’exception. Elle est également manager d’Ethno Tendance Fashion Week Brussels, une manifestation bruxelloise très courue, fondée par sa mère, Cérina de Rosen.

Ethno tendance Fashion Week Brussels, bozar.com

Avec ses défilés de mode, ses conférences, expositions…, Ethno Tendance Fashion Week Brussels est une agora de rencontre du meilleur des cultures, un must de la mode alliant excellence esthétique et éthique. N’est-ce pas l’idée de perfection du beau et du bon que l’antiquité grecque nomme kalos kagathos ?

Revenons aux Mwanamke. Le premier anniversaire du collectif offre l’occasion de saluer l’action énergique de celles qui organisent et relaient des ateliers de réflexion, ciné-débats, conférences, rencontres, publications d’articles de presse, parutions de livres, spectacles, expositions, projets artistiques…

11 février, à Bruxelles, manifestation de soutien à Naithy Nelson, Adama Traoré, Théo et à tous les racisés victimes  de brutalités perpétrées par la police, page Facebook Mwanamke collectif afroféministe belge.

Le collectif Mwanamke participe aux manifestations de protestation contre les violences policières en Belgique, en France, aux États-Unis…

11 février, à Bruxelles, les Mwanamke participent à la manifestation de protestations contre les violences policières envers les Noirs, page Facebook Mwanamke collectif afroféministe belge
11 février, à Bruxelles, les Mwanamke participent à la manifestation de protestations contre les violences policières envers les Noirs, page Facebook Mwanamke collectif afroféministe belge

Les Mwanamke s’incrivent dans la longue tradition internationale de résistance aux oppressions institutionnelles bafouant les droits humains  élémentaires.

Mwanamke aux côtés des Djiboutiennes qui disent Stop au viol, page Facebook du collectif

Elles prêtent leur soutien aux femmes de Djibouti luttant pour que les viols soient reconnus comme des crimes de guerre.

Mais, au fond, que signifie Mwanamke ? Femme en kiswahili. Raison pour laquelle le collectif est non mixte.

Cette réserve permet de débattre en toute liberté. Notamment, des sujets intimes, comme celles des black loves. C’était le vaste thème du 3e brunch mensuel du collectif qui a lieu dans le restaurant Le Grand Central. J’avais hâte d’y aller.

Le dimanche 26 février, on est sept à table. Des femmes jeunes et moins. Qui se présentent. Elles s’appellent Nadine, Chadia, Fiona, Christa, Alyssa et Hanatou. Elles ont grandi en Belgique, à Bruxelles, à Louvain-La-Neuve, au Luxembourg ou encore sont arrivées jeunes du Rwanda, du Burundi. Une raconte ses liens avec le Cap-Vert et le Portugal. Une Américaine, née à Huston et qui a vécu dans l’Ohio, dit qu’elle a habité cinq ans à Berlin et elle vit à Bruxelles depuis un an… Une participante se félicite d’avoir enfin pu venir, elle doit composer avec les horaires de son job d’étudiante.

Dimanche 26 février 2017, brunch des Mwanamke collectif afrofeministe, page Facebook du collectif

Qui mène le débat ? Hanatou. Elle est active dans le collectif depuis sa création. Mais c’eût pu être quelqu’un d’autre : il n’y a guère de hiérarchie, c’est contre cette vision réductrice de l’humain que lutte le collectif Mwanamke. Et ce, dans l’esprit inclusif cher aux afroféministes dont l’approche intersectionnelle se préoccupe des destins aux croisements de plusieurs discriminations : homophobie, transphobie, validisme…

Street art fusionnant avec la nature en Haïti, pinterest.com

Hanatou rappelle cette exigence. Une convive mentionne l’écoféminisme. Oui, Dame Nature, dans un monde sensible aux positions afroféministes, serait la priorité de tous les Terriens.

Après avoir   expliqué que Blanc et Noir sont des catégories sociologiques, Hanatou lance la discussion. Parlons des représentations sociales péjoratives ? Du poids des stéréotypes sur l’amour-propre et la confiance en soi… À quel âge la compréhension de la fiction raciste frappe, l’évidence de la réalité sociale saisit ? Les témoignages se succèdent autour du sentiment de solitude et d’invisibilité des visages noirs lorsqu’on est petite à l’école. La condescendance, les mots agressifs… Souvent on comprend sans comprendre.

Chakaia Booker, Dorothy’s Shoes , 2012, caoutchouc et acier inoxydable, marlboroughgallery.com

Puis, à l’adolescence, se renforce la conscience de l’absence, à la télé, des gens comme soi. Jeune adulte, on ressent le mépris systématique des qualités physiques de beaucoup d’Africaines : peau sombre, bouche pulpeuse, fesses et poitrines généreuses, silhouette charnue. Les clichés issus de l’imaginaire colonial sont véhiculés par la télévision, le cinéma, la publicité, le monde du spectacle…

Valérie Oka, Body Talk Deshumanisation, 2014 Installation La cage et performance En sa présence

La remarque : tu es intelligente pour une Noire, trahit l’omission collective de la compétence des femmes racisées. À quoi, il faut ajouter les sempiternels : tu es jolie, tu es bien éduquée, tu parles bien le français, tu n’as pas l’accent africain, tu es jolie pour une Noire. Pourquoi, une participante souligne, préciser ça. C’est le contraire d’un compliment !

Chakaia Booker, Handle with Care, 2010, pneu en caoutchouc, bois et acier, marlboroughgallery.com

Une fille relève que les choses critiquées chez les Noires, volontiers taxées alors de sauvages ou de négligées, deviennent belles sur les Blanches. Un paradoxe ? Plutôt un aspect du mécanisme d’oppression appelé phénomène d’appropriation. Les non-racisés récupèrent des éléments des cultures afro dont les pratiques d’embellissement sont également des moyens sociopolitiques d’affirmation de soi. Sans contrepartie et même en changeant les noms, les tressages comme les cornrows ou braids, les bantu knots, les dreadlocks, de même que les foulards de tête et les anneaux au septum nasal sont gadgétisés et vidés de leur dimension originelle par des ignorants trouvant que c’est plaisant, joli, que ça fait cool, original, tendance…

Chakaia Booker, inanimate Behavior, 2012, caoutchouc et bois, marlboroughgallery.com

Où les unes s’ébattent dans la frivolité, les autres sont, sans cesse, renvoyées à la question de leur apparence dévalorisée. À l’obligation de se dire : Puis-je porter des tresses sans être mal vue à l’école ? Revêtir une tenue un peu excentrique sans être décrédibilisée ? Dois-je, pour trouver un travail, me défriser les cheveux, avoir recours au blanchiment de la peau, au risque de souffrir d’allergie, d’eczéma et autres dermatoses ? Quelqu’une dit que les Amérindiens sont aussi révoltés par l’usurpation, à des fins cosmétiques, ludiques, commerciales, de leurs coiffes à plume, parures et motifs sacrés. Ils doivent rappeler que leurs univers symboliques n’ont rien à faire sur les podiums des stylistes, dans les vidéoclips, les œuvres des artistes indifférents à leurs conditions de vie.

À la faveur d’une intervention, Hanatou rebondit brièvement sur des notions (racisé, misogynoir, blantriarcat, colorisme) qui sont autant d’outils conceptuels permettant d’analyser les situations décrites. Après un coup d’œil à ses notes, elle pose une question ou propose une nouvelle piste à explorer : quelles sont les répercussions des préjugés sur l’intime et les sexualités ? Frantz Fanon de Peau noire, masques blancs est cité par une fille qui précise la date de publication : 1952.

Chakaia Booker, Intimate Expressions, 2008, pneu en caoutchouc et bois, marlboroughgallery.com

Et si on parlait des comportements masculins sur le terrain amoureux ? Pourquoi les hommes noirs préfèrent les femmes blanches aux femmes noires ? Hanatou fait remarquer que cette conduite n’est observée dans aucun autre groupe de la population ?

Valerie Oka, Body Talk Deshumanisation, En sa présence, 2014, installation, contemporaryand.com

Et les hommes blancs qui fétichisent et animalisent les Africaines et les Afrodescendantes ? Qui veulent tester une « expérience » différente ? Usent et abusent des mêmes noms : tigresse, lionne, panthère, bref, féline chaudasse, sans oublier gazelle ?

Et l’étiquette exotique ? Une voix s’élève, disant, non, c’est pour les fruits, je ne suis pas un fruit ?

Qu’en est-il de l’amour entre Noirs ? Et des couples de couleurs différentes ? De l’influence de l’entourage ?

Aucune participante ne s’est déclarée homosexuelle, mais le sujet est abordé. La tablée s’interroge sur l’intolérance plus grande des Africains et des Afrodescendants. Cette attitude rétrograde est-elle liée au religieux ? Le monothéisme n’a-t-il introduit une forme de rejet que ne pratiquaient les religions traditionnelles ?

Billie Zangewa, The rebirth of black venus, 2010, huffingtonpost.com

Comment aimer, donc, se faire entendre et s’entendre dans une société plutôt insensible aux obstacles qu’elle construit sur la route des personnes racisées ? Comment déconstruit-on cette négativité dans sa tête ? Décolonise-t-on son cœur ? Invente-t-on son équilibre son équilibre ? Parvient-on à exprimer sa vulnérabilité lorsque l’éducation a appris à rester forte, calme, courtoise, discrète, en toutes circonstances ? Lorsque des constats légitimes butent sur l’argument neutralisant de la plainte obsessionnelle, de la victimisation facile, de la colère exagérée ?

Couverture de Firebird, livre pour enfant écrit par la ballerine Misty Copeland et illustré par Christophe Myers, commons.wikimedia.org

Eh bien, on acquiert de la distance et s’élève en parlant, lisant des essais, romans et articles sur Internet, en regardant des films et des documentaires, en exerçant son intelligence loin des voies du conformisme majoritaire qui ne sont pas si impénétrables. La preuve : les Mwanamke, autour de la table, tiennent des propos lucides et articulés sur la double domination du sexisme et du racisme. Elles possède un vrai bagage de connaissance subjective et objective dont la coutume du déni empêche de reconnaître la qualité.

D’où l’importance du travail de conscientisation d’Ouvrir la voix, le splendide film documentaire de la réalisatrice française Amandine Gay, dont Les vagabonds sans trêve ont relayé le bien-fondé de la démarche, puis fait le compte-rendu de la projection au Bozar.

Alone, all alone
Nobody, but nobody
Can make it out here alone.
Extrait du poème Alone de Maya Angelou

Se rencontrer, s’interroger, se parler et s’écouter parler, comme le propose le brunch des Mwanamke, c’est mesurer la richesse des vécus et la complexité des réflexions des femmes racisées, c’est s’apprécier les unes les autres dans une atmosphère de sororité et de résistance radieuse qui répare et revigore. Et surtout, surtout, donne l’envie de rester assaillantes !

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, quittons-nous avec Sowa de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara. Pour les infos pratiques, je vous renvoie à la page Facebook Mwanamke collectif afrofeministe belge. Attention, concernant le brunch, le nombre de participantes est limité : il est impératif de réserver.

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