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Tu n’es pas une Noire comme les autres : décryptage par Guy Alexandre Sounda

Du mérite de l’aller-retour

Tu n’es pas une Noire comme les autres

Les vagabonds sans trêves : Guy Alexandre Sounda, merci d’avoir accepté d’être notre vagabond expert et de vous prêter à l’exercice d’analyse des paroles suivantes : Tu n’es pas une Noire comme les autres. Tu es différente, exceptionnelle… Avez-vous entendu de tels propos et quelles réflexions vous inspirent-ils ? Que se passe-t-il quand quelqu’un me parle ainsi ?

Guy Alexandre Souda, École normale de la rue d’Ulm, journée d’études tératologiques, Indiscipline des monstres, 7 octobre 2017

Guy Alexandre Sounda : Alors Noir exceptionnel. Noir particulier, entre guillemets, qui ne fait pas tache… Évidemment, on entend ça ou, plutôt, on vous le fait sentir ici en Europe, que ce soit en France ou en Italie, les deux pays où je circule le plus. Ce n’est pas toujours formulé de façon claire, ce peut être insinué, mais je l’ai ressenti à plusieurs reprises et à plusieurs endroits. En effet, c’est lié à la problématique de la représentation qu’on peut faire d’une personne en tant qu’élément d’une race ou d’une communauté. Mais bon, dès que tu brilles dans un domaine ou manifeste de l’ambition, je veux dire, dès que tu cherches, en tant qu’individu, à te déployer, que tu veux développer un talent ou une aptitude, tu deviens quelqu’un qu’on n’attendait pas.

Amandine Herzog, Mbougar Sarr, Guy Alexandre Sounda, Indiscipline des monstres, ENS, rue d’Ulm, 7 octobre 2017

En ce sens, être inattendu est la dignité même de tout artiste ?
Seulement pour une infime partie de la population dont les Noirs, l’inattendu l’est d’autant plus qu’on n’associe pas ce que l’individu est capable de faire à la représentation de sa race ou sa communauté supposée. Par exemple, j’ai une amie qui enseigne dans la Vallée d’Aoste et elle est Italienne d’origine ghanéenne. Se baladant un jour dans son quartier, elle croise une vieille dame qui, après les formules de civilité, lui demande : Ma cosa fai nella vità ? Ce qui veut dire : Que fais-tu dans la vie ? C’est une question habituelle, qu’on pose volontiers en Italie. Mon amie dit qu’elle est enseignante et la dame lui répond : Ah bon ? Tu es intelligente, alors ! Voilà, pour cette femme, une Noire ne peut pas enseigner. Donc mon amie sortait du cadre de ses représentations. À mon avis, tout est problème de représentation. Et je pense que, pour mieux comprendre cette question et même pour commencer à l’envisager sous un angle sociologique, voire culturel, il faut faire un aller-retour. Lorsqu’on vit ici et maintenant sans vraiment sortir de son cadre de confort, il est alors plus difficile d’avoir conscience de l’autre versant, de l’autre côté de la barrière. Et pas mal de personnes blanches me disent, quand je leur raconte comment les choses se passent réellement ici et là-bas, que je suis un Noir différent, un Noir intelligent. À la question : Pourquoi me trouvez-vous différent et intelligent ? elles se dérobent. Elles ont tendance à s’esquiver et à nier l’évidence que la différence et l’intelligence n’émanent pas d’une race, simplement parce que l’aller-retour n’est pas là.

Mbougar Sarr, Guy Alexandre Sounda, Indiscipline des monstres, ENS, rue d’Ulm, 7 octobre 2017

Donc c’est l’aller-retour qui vous permet de développer une représentation des représentations ?
Avant de m’installer en Europe, de venir à Paris, j’étais à Brazzaville. Comme beaucoup de jeunes de cette époque, j’avais une représentation, pas uniquement de l’Europe et de Paris, mais de moi-même, désireux de trouver une place, ma place dans cette société-là. Toutes les choses que j’avais, disons, même pas digérées, mais ingurgitées, oui, vraiment ingurgitées pour envisager de partir vers cette autre société, ont volées en éclats. Ces représentations, dans ma tête, qui magnifiaient Paris, quand je suis arrivé, ne correspondaient plus du tout à la réalité quotidienne. Mais en qualité de nouveau venu, tu n’as même pas le temps de comprendre que tes idées étaient fausses qu’il te faut rentrer dans un autre cadre. Le cadre dans lequel on t’attend. Ça se fait dans l’urgence. Tu sors d’un cadre et tu bascules dans un autre. Tu te déplaces ainsi de cadre en cadre, sans avoir le temps de concevoir ton propre cadre, c’est-à-dire un système de repères qui correspondrait à la somme de tes expériences personnelles. Celui qu’avec du temps et de la réflexion, tu pourrais dégager et que tu aimerais approfondir une fois installé quelque part. Mais tu n’as pas le temps ! C’est une épreuve ardue, laborieuse que de vivre ainsi, de passer de cadre en cadre sans avoir le temps de cracher tes pseudo-représentations et d’ingurgiter les vraies, celles que tu vis ici et maintenant et qui te permettront d’entamer une nouvelle vie. J’ai eu des épisodes de colère, profonde même. Pourtant, avec le temps et la détermination, j’ai surmonté cet état d’esprit pour parvenir à recouvrer une certaine maîtrise de soi.

Guy Alexandre Souda lisant Confessions d’une sardine sans tête, Prix Éthiophile 2017, École normale supérieure de la rue d’Ulm, journée d’études tératologiques, Indiscipline des monstres, 7 octobre 2017

Cette colère doit-être proportionnelle à son énergie. Alors comment se l’approprie-t-on ?
En faisant la part des choses, en relativisant ce qui peut l’être et en analysant les situations de façon nuancée. En apprenant aussi à comprendre d’où on vient et où on se trouve, puis comment on s’est retrouvé là. Lentement, on invente un équilibre entre sa part de singularité et celles des autres. De cette conjugaison d’efforts quotidiens naît un regard nouveau. Un rêve sans cesse questionné, sans cesse renouvelé. C’est fondamental pour retrouver de l’assurance, se reconstituer peu à peu, bâtir des repères.

Ça demande beaucoup de courage, de persévérance en chair et en os, beaucoup d’esprit constructif ?
Indubitablement. Et si tu as assez d’énergie, de force et de ressources pour bouger à l’intérieur des cadres et questionner tes propres représentations et celles des autres, à ce moment, on te colle l’étiquette de Noir exceptionnel. On dit, il est différent des autres ! Mais cette parole renseigne aussi sur celui qui parle. Elle manifeste sa faiblesse et sa peur également, puisque très vite, il catalogue l’autre. C’est une façon, pour qui colle l’étiquette, d’accroître son sentiment de sécurité.

Guy Alexandre Souda lisant Confessions d’une sardine sans tête, Prix Éthiophile 2017, ENS Ulm, journée d’études tératologiques, Indiscipline des monstres, 7 octobre 2017

Celui qui est vite catalogué ou étiqueté serait l’otage du besoin de se rassurer de l’étiqueteur ?
Qu’importe ce qu’est l’autre, je veux qu’il corresponde à l’idée que je m’en fais, qu’il entre dans un cadre ou une case, qu’il se plie à ma conception de lui, ou des choses. Tiens, ça me rappelle la chanson Nénuphar chantée par Henri Alibert : Quittant son pays, un petit négro vint jusqu’à Paris voir l’exposition coloniale, c’était Nénuphar, un joyeux lascar pour être élégant, c’est qu’aux pieds il mettait ses gants ! Ça illustre un peu ce que j’ai dit précédemment. Étiqueter pour mieux s’assurer que l’autre en face de moi est comme je le perçois.

C’est peut-être le langage de la certitude. Une façon de faire taire le Noir supposé différent et à qui, alors, on conteste la faculté de parler pour les autres ou, simplement, de rendre compte de sa propre expérience ?
C’est bien de l’ignorance. Je crois. Laquelle informe sur celui qui parle et la mentalité de la société où il vit. Supposons qu’un Blanc parte s’installer au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Congo et qu’il arrive à s’intégrer, qu’il trouve sa place. Dira-t-on de lui que c’est un Blanc exceptionnel ? Dans un article, l’historien Pascal Blanchard met en exergue ce fait : «…Il y a un corps noir, parce que nous nous désignons comme Blanc et que l’altérité est ici un facteur déterminant d’une classification qui en termes sociologiques facilite l’identification, la monstration ou la classification. Mais le corps noir n’est pas que couleur, il est stigmate, signe et symbole, d’une identité propre… »

Guy Alexandre Souda, École normale supérieure de la rue d’Ulm, journée d’études tératologiques, Indiscipline des monstres, 7 octobre 2017

Ce serait alors la problématique de la non-réciprocité ?
La réciprocité ? Elle n’existe pas à ma connaissance. J’ai voyagé dans pas mal de pays africains de l’Ouest et du Centre et même au-delà. Je ne l’ai jamais entendue… Il y a plutôt une foule de représentations que l’on associe souvent à la supposée supériorité du Blanc. Je me permets à nouveau de citer Pascal Blanchard : Pas de héros blanc sans masse noire ! Cette phrase renvoie à la réflexion sur la norme et le centre. La norme avec son centre et sa périphérie. Prenons l’exemple de Paris. Comme cette ville est construite avec un rempart, il y a Paris intra-muros et la périphérie. Et la périphérie, c’est déjà l’autre. Sauf que celui qui habite la périphérie fait exister le centre. S’il n’y a plus la périphérie, il n’y a plus le centre. Peut-être ça changera un jour. Pour l’instant, le système est ainsi construit : il y a la marge et le centre, les colonies et la France. Koulsy Lamko, écrivain, dramaturge et enseignant tchadien, installé au Mexique, a eu une réflexion éclairante sur les pratiques artistiques franco-africaines, dans le cadre de la francophonie. Il parle du fait qu’on impose aux artistes africains des modes de création en fonction des offres de subventions. Ce sont des modes et des critères implicitement prescrits par les réseaux institutionnels. Donc, d’emblée, ta création est bridée par des contraintes, des entraves venues d’ailleurs, du centre, et qui font que tu ne peux pas créer en fonction de ce que tu es, ce que tu vis, ce que tu veux.

Le besoin viscéral, vital de créer des artistes du continent africain se heurte à un excès de normes par rapport aux artistes européens qui sont, pourtant, déjà bridés ?
Pour les artistes africains, ceux notamment de l’aire francophone, il y a ce surcroît de formatage, en ce sens que le système accueille ou intègre les esprits assez malléables, du moins ceux qui parviennent à s’adapter aux contraintes…

Guy Alexandre Souda, École normale supérieure de la rue d’Ulm, Indiscipline des monstres, journée d’études tératologiques organisée par Afriques transversales, 7 octobre 2017

Si je comprends bien, à la sujétion idéologique de la marge ?
De ce fait, ces artistes assurent la reproduction du système avec ses frontières dont, le système raconte la fermeture. On n’arrête pas de répéter qu’il faut fermer les frontières, parce que raconter le récit des frontières, que le centre peut fermer, occulte la réalité de sa dépendance vis-à-vis de la périphérie.

La faculté occidentale de désigner a priori l’étrangeté de l’autre, cette volonté, en privant l’autre de sa voix, empêche de savoir en quoi ce dernier peut être étrange. Pour qui n’a jamais mis les pieds à Brazza, vous rencontrer et vous demander, d’où vous venez ? Comment y vit-on ? C’est l’occasion d’entendre une histoire dont la familiarité, mais aussi l’étrangeté, la singularité dépassent tout ce que vu d’ici, ou ayant toujours résidé ici, on peut imaginer…
Exactement ! Sony Labou Tansi, l’écrivain congolais, mort il y a vingt ans, raisonnait de la sorte : Écouter l’autre pour mieux entrer dans son monde. Pour lui, le mot est une passerelle. Et Sony Labou Tansi, son univers incarne ça. La société traditionnelle kongo était construite autour du fait que l’autre est une aubaine, une possibilité, un pont vers l’ailleurs et vers soi-même. C’est une culture, disons, hospitalière. Mais cette hospitalité ne veut pas dire faiblesse. De la même façon, une femme gaie, souriante, sympathique ne signifie pas facile. Ne signifie pas qu’à la bonté de son sourire, un type puisse répondre ou, même, doive penser, ah, celle-là, je vais me la faire ! On a construit quelque chose de ce genre qui interdit la générosité, la bienveillance au quotidien. Une sorte de croyance que la gentillesse est coupable d’appeler la prédation. Je raconte aux gens en France et en Italie que je viens d’une culture ouverte à la compréhension de l’autre, basée sur la promptitude à composer avec les autres et que ma voix et mon art portent cette conscience-là. Peut-on aujourd’hui vivre de cette manière-là ? Je crois que oui. En Vallée d’Aoste où j’ai enseigné le français à objectifs professionnels et animé des ateliers artistiques, je disais toujours à mes interlocuteurs que derrière la montagne, il y a des gens qui pensent comme vous et différemment de vous. Mais le problème, pour reprendre la question de l’entretien, c’est que là-bas ceux qui viennent d’au-delà des montagnes ont leurs cases déjà prêtes. Et si tu parviens à en sortir, on dit que tu es exceptionnel…

Vous avez dit cadre ou case ?
On a tous des représentations, des cadres. Je ne peux pas dire d’emblée que c’est mauvais. Bon ou mauvais, ce n’est pas la question. Les cadres ont une utilité, ce sont des barrières de sécurité. Mais qu’il faut à un moment questionner et même transgresser.

Guy Alexandre Souda, École normale supérieure de la rue d’Ulm, Indiscipline des monstres, journée d’études tératologiques organisée par Afriques transversales, 7 octobre 2017

Les cadres, en organisant ou filtrant notre expérience, permettent de nous accommoder du réel, de le tolérer, de le rendre mentalement familier. La structuration de la perception que nous avons du monde sert à préserver ou à assurer notre équilibre psychique…
Dans chaque société, communauté, entité sociale, il y a des cadres. Le hic est de savoir à quel moment le cadre devient superflu, en fait, une case trop limitée, étroite. Tant dans mon travail d’écriture que dans celui sur la pédagogie autour du théâtre, il m’importe de réfléchir quand il convient de dépasser ces cadres. Au fond, c’est tout le combat de l’art ! Quand tu fais du théâtre, un moment donné, tu passes par les paradoxes du comédien. Diderot a posé pas mal de questions concernant le fait de partir sur des présupposés, sur des clichés… La force du dramaturge est de briser les clichés. Voilà son ambition ! Quand on y parvient, alors on dit, dans le milieu théâtral, il est génial, cet Africain-là, il n’est pas comme les autres ! Alors que tu as fait ce que fait tout artiste et même tout être humain qui, pour se réaliser, est appelé à faire franchir les limites de son éducation et de sa culture. En ce qui me concerne, puisque je suis né à Brazzaville après l’indépendance et de parents à qui on accordait la citoyenneté française du fait de leur appartenance à la colonie, j’ai la double culture, congolaise et française. Mes parents appartiennent à la génération des gens éduqués et façonnés par les missionnaires, cette génération à qui l’on a appris la langue française et l’histoire de France et la littérature française. En retour, ils ont transmis à leurs enfants des odeurs de France, des matières et des représentations de la France. Je dis toujours que mes parents étaient moitié français et moitié congolais : quand j’étais petit, à la maison, il fallait être, pardon du terme, presque dans la singerie, l’imitation du modèle dominant apporté par le missionnaire ou l’homme blanc venant de la civilisation supposée prestigieuse. Mais, lorsque je suis rentré à l’école, c’était un peu différent, car l’enseignement avait été nationalisé même si la langue française était la langue d’usage. La langue française et tout ce qu’elle véhicule encore aujourd’hui. Au-delà des enseignements classiques, nous commencions à accéder à l’imaginaire local, aux cultures bien de chez nous à travers la poésie et les chants, pour ne citer que ces deux-là. Sauf que les chantres de l’imaginaire local sont arrivés à faire passer le message célébrant l’amour du Congo, mais sans parvenir à faire de la culture française une culture comme les autres, une culture qui n’est pas plus que celle que nous avons. Si bien que dans notre regard, la France gardait toujours son ascendant, une sorte d’emprise, d’importance impériale. Comme tout le monde, j’ai lu les classiques : Le Rouge et le Noir, Madame Bovary et d’autres œuvres qui n’étaient pas inscrites au programme et qu’il fallait lire à tout prix. Ensuite, j’ai commencé à lire des auteurs tels que Sony Labou Tansi qui avait fait l’expérience d’aller en France. Dans les années soixante-dix, il arrive à Paris. Et on voit la ville pour la première fois à travers ses yeux. Mais quand il revient, c’est pour dire, j’ai vu la Seine et c’est une rivière, pas un fleuve ! Pas un fleuve comme le fleuve Congo, car entre Brazzaville et Kinshasa, entre les deux capitales les plus proches au monde, il y a le fleuve qui fait sept kilomètres de large. Pour moi, c’est ça, un fleuve ! Ce doit être grand, avec des chutes, des emportements, de l’énergie. Alors quand tu vois la Seine, vraiment, oui, il y a un choc ! À ce moment, l’idée que tu te fais de la France ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Tu dois changer ta représentation de ce pays, sortir d’un cadre ou d’une case pour aller dans un ou une autre. La taille de la voie fluviale, l’énergie ne sont pas la même. Et le regard, non plus, n’est pas le même. Du coup, les gens que tu vois cessent d’être éclatants et tu te dis : Je n’ai pas nagé dans une piscine, j’ai appris à nager dans une vraie rivière, dans un grand fleuve. Tu prends conscience que ce sont tes références, que la vastitude du fleuve Congo, c’est ton expérience. Le prestige de la représentation de la France diminue à travers cet élément important pour moi : le fleuve Congo, cet élément formateur que je ne suis pas allé chercher ou lire ailleurs, le fleuve, il était là. Ce géant était à ma porte, avec les chansons, les jeux, l’activité autour du fleuve, pratique ou ludique. Toutes ces images, cette vie… tout ça était à ma porte. Quand je suis arrivé en France et que je m’y suis installé, je me suis rendu compte que ces grands fleuves français, la Loire, la Meuse, le Rhône, etc., ce n’était pas ce que je croyais. Et j’ai arrêté la sublimation de tout ce qu’on m’a appris au Congo. Car, il faut le dire, ce mouvement n’est pas spontané, on nous a appris à sublimer la France, ou, si on préfère, à mettre sa représentation sur un piédestal.

Mbougar Sarr, Guy Alexandre Sounda, Afriques transversales, Indiscipline des monstres, ENS, rue d’Ulm, 7 octobre 2017

La géographie française apparaît et, du coup, la géographie congolaise aussi, puisqu’il y a une géographie française surinvestie ou surreprésentée et une géographie congolaise sous-représentée.
C’est ça ! Déjà rien que la phrase je vais en France, est vécue sur le mode incantatoire. Tu te la répètes comme une formule magique : Je vais en France ! Je vais en France ! Puis, à l’arrivée, alors tu découvres, par exemple, la végétation… Tu es un peu étonné et frustré même. Par conséquent, tu prends la mesure de la luxuriance de la nature chez toi, des forêts, de leur extravagance. Ce qui m’a donné plus d’air et d’assurance, c’est également de savoir que je viens d’un pays où ma forêt, la forêt équatoriale, est le deuxième poumon du monde après l’Amazonie. Ce n’est pas rien. Conclusion : en ce qui concerne la représentation, je ne peux pas comparer l’environnement d’où je viens avec celui de quelqu’un qui, par exemple, vient du Burkina Faso ou du Tchad. La perception n’est pas la même, la représentation non plus. Mais ce qui ne change pas et qui, au début, paraît étrange, c’est la façon dont ici, en France, en Italie, en Belgique, nous sommes perçus. Parce que Congolais, Burkinabé, Tchadien, Sénégalais, Camerounais, c’est la même chose.

Guy Alexandre Souda, École normale supérieure de la rue d’Ulm, Indiscipline des monstres, journée d’études tératologiques organisée par Afriques transversales, 7 octobre 2017

Ces nationalités différentes, composées de peuples différents vivant dans des environnements différents et des langues différentes, pour la mentalité d’ici, forment un groupe homogène.
Quand j’arrive en France, je suis confronté à ce phénomène d’homogénéisation des représentations des Noirs du continent africain. Mais il y a encore un autre aspect : celui des conditions d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants. Tandis que tu te dis, il faut que je change ceci et cela de moi pour m’adapter et prendre mon envol, on te répond qu’il ne faut pas, qu’il y a déjà ça qui existe pour toi, le chemin que tu dois prendre, c’est celui-là. Il dépend du fait que tu es immigré algérien, togolais, congolais… Pour ce qui est de l’administration, il y a des clauses qui ne concernent que les citoyens algériens, que les sujets togolais, que les ressortissants malgaches. Ces distinctions découlent des accords que la France a passés avec ces pays. Un Algérien aura moins de difficultés à avoir des papiers qu’un Congolais. Pour un Togolais aussi, c’est moins difficile, vu que la France a signé des accords sur le plan militaire avec le pays et qu’elle a des bases là-bas. En conclusion, selon ta nationalité, tu prends le chemin obligé ou désigné. Et il faut du temps sur ce chemin pour trouver ta voie. C’est quand on arrive à trouver son propre chemin qu’on accomplit l’aller-retour et, dès lors, la question de la représentation des uns et des autres, on peut la traiter avec moins de passion ou, disons, à tête reposée. Quand on est encore en train de marcher, il y a de l’émotion, parce que, tous les jours, des gens subissent des actes de racisme, font l’objet de discriminations, partout, au boulot, etc. Et, oui, elle est compliquée, cette problématique ! Mais je peux dire que j’ai trouvé mon chemin, celui qui me correspond et à travers lequel je regarde à la fois le Congo, mon pays d’origine et la France, mon pays d’adoption. Sur ce chemin, je suis parvenu à trouver ma voix, à faire le compromis entre ma culture congolaise et ma culture française.

Le lauréat du Prix Éthiophile 2017 Guy Alexandre Sounda, le président de l’association le professeur Papa Samba Diop

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, Guy Alexandre Sounda est dramaturge, poète, conteur, enseignant… Il a créé Vues d’ici & Vents d’ailleurs, un festival international des arts solidaires. Il est l’auteur d’un premier roman Confessions d’une sardine sans tête (analyse à découvrir ici), publié, en 2016, par les Éditions sur le fil, roman qui a reçu le Prix Éthiophile 2017 (lire ici).

En 1984, le groupe britannique Depeche Mode chantait People are are people :
I can’t understand
What makes a man
Hate another man
Help me understand