Grisélidis Réal la putain artiste ou catin révolutionnaire
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, belle de nuit et d’envies, Grisélidis Réal est entrée en prostitution comme on entre en insurrection. Après-guerre, à Munich, elle fait ce qui ne se peut pas, quand on est jeune fille de bonne famille.
Au bras des G.I. noirs, elle, toute jazz, boit, bouffe et baise la liberté swinguée, et travaille dans les bordels, la nature ou les voitures.
Elle trafiquera de la marijuana et fera de la prison.
Tout ça sera raconté avec une force brutale et incandescente dans Le noir est une couleur, le roman autobiographique qu’elle mettra dix ans à écrire.
Elle habitera Paris et la Suisse, portant haut son combat de mutineries sismiques des corps fardés et des esprits passionnés, retournant même à la prostitution quand il s’agira de rester en phase avec son discours anarchiste dans lequel vendre son cul est, selon ses mots, un art, un humanisme et une science.
Le manifeste politique incarné au jour le jour précaire et précieux de Grisélidis Réal démontre que vivre du sexe tarifé n’empêche pas de rester profondément intègre.
Cette putain au sens hyper propre, d’une intelligence fine, cet être de séduction ardente, féministe viscérale est folle d’amour et des extrêmes désirants : une dingue de spontanéité…
Donc de provocations, peut-être l’archétype en chair et en os du danseur dionysien tel que le conceptualise Nietzsche.
Le monde n’étant qu’une addition de bornes absurdes, une collection d’étroitesses conventionnelles, que peut-on faire si ce n’est imaginer une topographie de la transgression ? Au milieu de ses reliefs tortueux de la réinvention permanente de soi, de la tresse indémêlable dans laquelle elle juge que « le réel est une fiction et la fiction est réelle », Grisélidis Réal ne se fait aucune illusion sur la réalité humaine, c’est-à-dire qu’elle conçoit, avec une compassion émouvante, les liens étroits entre la pute, l’honnête femme et le client, décrivant le malheur qui lie tous ces acteurs crevant de la même asphyxie sociale détestable qui s’appelle hypocrisie, mensonge, interdit.
État pitoyable des mœurs et indigence des restrictions existentielles qu’elle n’aura de cesse de le dénoncer et, mieux, la réfractaire, au regard noir aile de corbelle, fera de la fugue du plaisir, de la danse gitane, de la peinture, de l’écriture, de la théâtralisation du corps, sa revanche volcanique, la réfutation lyrique de la mort avant la mort qu’est la décrépitude petite-bourgeoise.
Belle de nuit : Grisélidis Réal Autoportraits, le film documentaire de Marie-Ève de Grave, qui se donne en voix off, donne à sentir la personnalité complexe et facettée de l’indéfinissable Grisélidis…
L’avant-première s’est déroulée le 30 avril 2016, à Bozar, en présence de la réalisatrice Marie-Ève de Grave, d’Yves Pagès, l’éditeur de Grisélidis Réal et Yvan Flasse, enseignant à l’Erg (l’École de recherche graphique).
… belle comme une Betty Page suisse.
La réalisatrice Marie-Ève de Grave retient des aspects-clés : la vie munichoise avec les G.I. noirs, le séjour en prison, l’ivresse dansée et sexuée, le long travail de gestation du roman autobiographique Le noir est une couleur, la figure de la mère dévouée, mais pas exemplaire, la militante marginale dont on perçoit que fait peur la vision hors normes des droits des prostituées et des femmes enfin majeurs.
Dans Belle de nuit : Grisélidis Réal Autoportraits, la voix un tantinet gouailleuse, espiègle et captivante de l’écrivaine nous retient, lumineuse et illuminée, laissant l’impression d’avoir affaire à une sainte laïque, paillarde et hallucinée tant elle a dégusté et assumé la souffrance de façon poétique.
Cette assomption clame et déclame que libérer la vie par la jouissance est la seule réponse qui vaille, la seule réponse à la hauteur hurlée des exigences de la dignité humaine.
Sans jamais sombrer dans le cliché romantique de la bohème prostitutionnelle, autant dire, faire l’impasse sur la pénibilité et la sordidité du quotidien de Grisélidis Réal, le travail de mosaïque de Marie-Ève de Grave restitue l’immense et sauvage visage d’une plume fascinante, fulgurante et quasiment légendaire dans le cœur de ses lecteurs dont chacun peut, en fait, chérir en Grisélidis Réal, un petit éclat d’elle impressionnante et invraisemblable comme un morceau d’os, un fragment du corps sacré dans le reliquaire impie de sa mémoire…
De scénettes en reconstitutions, d’archives sonores ou photographies en extraits de films, de bouts d’interview en toiles, on s’y perd et c’est tant mieux. Belle de nuit : Grisélidis Réal Autoportraits est fidèle à son sujet extraordinairement facetté.
Trois hommes apparaissent dans le film documentaire, André Balland son premier éditeur, puis Jean-Luc Hennig, puis Yves Pagès, des hommes de lettres qui ne sont pas pygmalion, mais complices de la carrière de l’écrivaine. Car c’est bien ce qu’elle est notre grande dame : écrivain entière et entièrement écrivain, Grisélidis Réal ne faisant rien à moitié.
J’ai découvert Grisélidis Réal par la voie principale de son monde : le roman Le noir est une couleur. Ce texte autobiographique est son œuvre la plus aboutie, d’après Yves Pagès, son éditeur actuel. C’est une matière ignée, crue, dure, bouleversante de misère et d’énergie sulfureuse qui m’a ébahie.
En vérité, j’y ai apprécié l’émergence d’un auteur dont la plume est ingénue, entendez, étymologiquement née libre d’être dénuée de conscience hiérarchique.
C’est beau et c’est rare en littérature occidentale, l’éclipse du conformisme doublée d’une indépendance radicale à l’égard du système qui voit, notamment la sublime Grisélidis n’être pas concernée, pour un sou, par le racisme. C’est ça, la pute prestigieuse poursuit le plaisir au détriment de personne, avec un courage athlète.
Le livre est accès privilégié à un esprit, quand celui-ci se montre aussi fictionnel et étranger à la fiction fétide de la race, qui classe les êtres humains en dominants et en subordonnés, pourquoi taire mon bonheur de lecteur. Puisque c’est surtout en littérature que ce mot acquiert, d’après moi, une vraie consistance, surtout dans cet espace que le mot bonheur est réalité sentie.
Oui, dans la grâce débridée de la plume de la belle gitane Grisélidis, j’ai goûté le pain de la liberté partagée de manière équitable. C’est affaire importante que je vous raconte, si tant est qu’on se souvienne que la société antique romaine était à la fois esclavagiste et très permissive sexuellement, ce qui en fait un univers effroyable, contrairement au monde celte ou gaulois beaucoup plus tolérant.
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, recevez l’invitation à la table d’une formidable femme de lettres dans le compagnonnage duquel vous vous goûterez en lecteur d’exception culturelle la jouissance de se passer de la logique hiérarchique, ne fût-ce, le temps d’un livre.
Pleins pleins pleins de documentations péripatéticiennes pour ne pas se séparer en si bon chemin :
Les acharnés de la grande dame charnelle trouveront à errer aux éditions Verticales avec Suis-je encore vivante, Carnet de bal d’une courtisane, La passe imaginaire, Les Sphinx, Mémoires de l’inachevée.
Sur archyves.net, le site de l’écrivain et éditeur Yves Pagès, les infos sur Grisélidis Réal se ramassent à la pelle et avec passion.
Les images du film sont extraites de la page FACEBOOK Belle de nuit – Grisélidis Réal Autoportraits.
Un article du site Cinergie.be sur Belle de nuit: Grisélidis Réal, autoportraits.
La vidéo de la présentation du film Belle de nuit: Grisélidis Réal, autoportraits sur Youtube.
Le centre Grisédélis Réal et le lien vers un pdf dans lequel l’écrivaine répond à des questions d’étudiants sur son activité de prostituée.
En 1979, la diva du disco Donna Summer chantait Bad Girls :
Bad girls
Les mauvaises filles
Talking about the sad girls
Parlent sur les filles tristes
Sad girls
Les filles tristes
Talking about the bad girls, yeah
Parlent sur les mauvaises filles
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