coups de tête

Lydie Moudileno ou penser l’Afrique à partir de sa littérature

Bienvenue dans les bibliothèques des littératures africaines

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, Lydie Moudileno a un doctorat de l’université de Berkeley en Californie et elle est professeur de littérature française et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie (Philadelphie, USA), dont elle a dirigé le Centre d’Études Africaines pendant plusieurs années.

Lydie Moudileno, professeur de littérature française et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie, vagabondssanstreves.com
Lydie Moudileno, professeur de littérature française et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie, vagabondssanstreves.com

Elle est l’auteure de nombreux ouvrages sur la littérature africaine et antillaise de langue française, dont L’Ecrivain antillais au miroir de sa littérature, paru aux éditions Khartala en 1997 et Parades postcoloniales – La fabrications des identités dans le roman congolais paru dans la collection Lettres du Sud aux éditions Karthala, 2007). Ces essais s’attachent aux questions coloniales et postcoloniales, ainsi qu’à celles des migrations, du rapport au corps et du miroir qu’est l’Occident dans l’espace romanesque africain et antillais de langue française. 

Mongo Beti, source : commons.wikimedia.org
Mongo Beti, source : commons.wikimedia.org

Au collège de France, le 2 mai 2016, Lydie Moudileno a commencé sa passionnante intervention par une référence à Eza Boto, alias Mongo Beti (1932-2001) qui, en 1955, dans la revue Présence africaine déclarait : « Il n’est guère, à notre connaissance, d’œuvre littéraire de qualité inspirée par l’Afrique noire et écrite en langue française ». Mongo Beti dans la revue dressait ensuite un bilan particulièrement navrant, ne faisant confiance à personne pour produire des chefs-d’œuvre et désavouant, tour à tour, les journalistes, les intellectuels, les hommes politiques, les économistes… et même les poètes. Les seuls dont on pourrait attendre quelque chose seraient, pour l’écrivain camerounais, les romanciers. Mais ils sont aussi, selon lui, les plus décevants. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tous ou presque coupables d’une sorte de trahison des clercs, en choisissant de répondre aux attentes du pittoresque, plutôt que de pratiquer une littérature réaliste et engagée. Ainsi pour Mongo Beti, l’Afrique noire n’est représentée, en 1955, que par une sous-littérature qu’il nomme « littérature rose ». Afrique noire Littérature rose est le titre de sa chronique. Et puis de toute façon, ajoute-t-il, à quoi sert qu’un chef-d’œuvre soit écrit ou publié en 1955, il ne sera lu et connu par le public qu’en l’an 2000 ? Mongo Beti était loin de se douter, en 1955, que le millénium apporterait une tout autre situation. Que les années 50 ouvriraient ce qu’on a appelé : l’ère du roman africain.

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Ferdinand Oyono, une vie de Boy, couverture du livre de poche

 

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Ousmane Sembène, Les bouts de bois de Dieu, couverture du livre de poche

 

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Yambo Ouologuem, Le devoir de violence, couverture du livre publié par les Éditions du Seuil

 

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Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, couverture du livre de poche

Que s’imposeraient comme des classiques les textes du Camerounais Ferdinand Oyono (1929-2010), du Sénégalais Ousmane Sembène (1923-2007), du Malien Yambo Ouologuem, du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane. Que des critiques justement poseraient la question : qu’est-ce qu’un classique africain ? Qu’on parlerait de champ littéraire africain. Que des thèses seraient consacrées à cette littérature. Que des chaires seraient octroyées en Amérique, en Afrique, en Asie, en Europe à la littérature africaine. Cela dit, la question de Mongo Beti demeure pertinente, puisqu’elle renvoie à une préoccupation qui a traversé les siècles et les traditions littéraires, celle du pouvoir de la littérature. Lydie Moudileno veut en relever les modalités dans le contexte particulier de l’Afrique et de ses fictions contemporaines.

Lydie Moudileno, communication au Collège de France, 2 mai 2016, vagabondssanstreves.com
Lydie Moudileno, communication au Collège de France, 2 mai 2016, vagabondssanstreves.com

§ 1. Pour commencer, il faut dire que la fiction africaine a largement contribué à la reconstruction d’une archive. On se rappelle que le philosophe congolais Valentin-Yves Mudimbe avait parlé de bibliothèque coloniale pour désigner l’ensemble des savoirs qui ont contribué à ce qu’il appelait une invention de l’Afrique. C’est ce qui correspondrait au « répertoire orientaliste » du Palestino-Américain Edward Saïd (1935-2003). Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, Alain Mabanckou en a largement rendu compte. Il faudrait alors, peut-être, parler d’une contre-archive, puisque le contre a été une des modalités des écritures postcoloniales, dont un des premiers essais critiques s’intitulait en anglais : The Empire writes back, qui signifie, l’empire contre-écrit ou, mieux, l’empire riposte par l’écriture. Effectivement, une des urgences de la littérature africaine a été de régler ses comptes avec la bibliothèque coloniale. C’est bien ce qu’on entend encore dans le contre du Meursault contre-enquête, le roman de l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud.

L'écrivaine Bessora photographiée par Alexis Duclos, commons.wikimedia.org
L’écrivaine Bessora photographiée par Alexis Duclos, commons.wikimedia.org

Le pouvoir de la littérature a donc été de montrer un autre versant, celui d’une Afrique qui pense et qui se pense au-delà du repoussoir ou du contrepoint.

Tierno Monénembo photo de Justin Morel, rfi.fr
Tierno Monénembo photo de Justin Morel, rfi.fr

Les écrivains se sont investis dans un travail plus ou moins systématique, notamment sur la mémoire.

Mambou Aimée Gnali, écrivaine et femme politique congolaise
Mambou Aimée Gnali, écrivaine et femme politique congolaise
Boubacar Boris Diop, source : website zulma.fr
Boubacar Boris Diop, source : website zulma.fr

Lydie Moudileno pense ici au texte sur la Vénus hottentote de l’écrivaine d’origine helvético-gabonaise Bessora, à Tierno Monénembo sur les tirailleurs, à la Congolaise Aimée Gnali, au Sénégalais Boubacar Boris Diop…

le dramaturge, romancier et poète Nocky Djedanoum, photo de Vincent Fournier, jeuneafrique.com
le dramaturge, romancier et poète Nocky Djedanoum, photo de Vincent Fournier, jeuneafrique.com

Penser l’Afrique, ce sera, pour beaucoup, tenter de mettre en mots les désastres africains. En ce sens le projet Écrire par devoir de mémoire de Nocky Djedanoum, en 1998, est exemplaire puisque, quatre ans après le génocide du Rwanda, ce projet se donnait comme un véritable défi d’écriture à un moment où, précisément, la fiction semblait la dernière chose à faire. Comment dire le traumatisme, le chaos, les impasses ?

L'écrivaine et poétesse Véronique Tadjo, commons.wikimedia.org
L’écrivaine et poétesse Véronique Tadjo, commons.wikimedia.org

 

l'écrivain Abdourahman Waberi, Paolo Montarano, commons.wikimedia.org
l’écrivain Abdourahman Waberi, Paolo Montarano, commons.wikimedia.org

Là encore, la question est universelle, mais de l’Ivoirienne Véronique Tadjo au Franco-Djiboutien Abdourahman Waberi, les écrivains ont relevé le défi d’y répondre concernant le Rwanda.

L'écrivain, poète et dramaturge Sony Labou Tansi, rfi.fr
L’écrivain, poète et dramaturge Sony Labou Tansi, rfi.fr

En postcolonie aussi, c’est la littérature qui permet d’imaginer, comme chez le Congolais Sony Labou Tansi (1947-1995), des résistances, des voix impossibles à réduire au silence, des morts difficiles à tuer, des rebelles… Renonçant à la tentation d’un afropessimisme absolu, c’est un pouvoir minime, mais précieux que l’écriture revendique : celui de disqualifier les états honteux, pour reprendre Sony Labou Tansi. En ça, le roman de la dictature aura très certainement été le contraire de la littérature rose.

§ 2. Une deuxième et immense fonction de la littérature concerne la représentation de l’espace, pour le dire plus précisément et, dans des termes empruntés au philosophe et historien français Michel de Certeau (1925-1986), Lydie Moudileno pense à la représentation de l’espace en tant que lieu pratiqué. Au fil des décennies, des récits, des genres variés ont contribué à énoncer des univers historicisés et non pas hors du temps, à représenter, les quotidiens incarnés par des personnages dotés de paroles, de mobilités, d’emploi du temps, de vices et de vertus, de certitudes et de dilemmes, de raisons et d’émotions, de capacités ludiques aussi et aussi de corps.

Ahmadou Kourouma, source : INA
Ahmadou Kourouma, ina.com

 

Aminata Sow Fall, commons.wikimedia.org
Aminata Sow Fall, commons.wikimedia.org

En ce sens les fictions des Afriques rendent le continent habité et habitable, ceci, depuis le roman de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, de la Sénégalaise Aminata Sow Fall et, plus près de nous, les fictions du Bénois Florent Couao-Zotti, des Togolais Kossi Efoui et Togolais Sami Tchak.

Florent Couao-Zotti, écrivain et dramaturge, commons.wikimedia.org
Florent Couao-Zotti, écrivain et dramaturge, commons.wikimedia.org

 

Kossi Efoui, écrivain, courrierinternational.com
Kossi Efoui, écrivain, courrierinternational.com

 

Sami Tchak, écrivain, commons.wikimedia.org
Sami Tchak, écrivain, commons.wikimedia.org

On notera que ce n’est pas le privilège de la littérature dite haute : du Gabon, du Sénégal, du Congo, du Mali, de France, une profusion de polars africains a donné une épaisseur particulière aux marges, au frivole, aux dessous des métropoles postcoloniales, tout en travaillant le vernaculaire.

Moussa Konaté, écrivain, dramaturge, essayiste, rfi
Moussa Konaté, écrivain, dramaturge, essayiste, rfi.fr

 

Abasse Ndione, écrivain
Abasse Ndione, écrivain, capture d’écran, youtube.com

 Bolya Baenga, essayiste et écrivain, mukanda.univ-lorraine.fr

Bolya Baenga, essayiste et écrivain, mukanda.univ-lorraine.fr

L'écrivain et journaliste Achille Ngoye, babelio.com
L’écrivain et journaliste Achille Ngoye, babelio.com

Lydie Moudileno cite le roman des Congolais Achille Ngoye et Bolya Baenga (1957-2010), du Sénégalais Abasse Ndione, du Malien Moussa Konaté (1951-2013), de Mongo Beti lui-même. Et d’ailleurs l’écrivain, essayiste et critique d’art helvético-camerounais Simon Njami en avait été le grand pionnier, comme dans d’autres domaines. Il faudrait aussi parler des romans Arlequin « à l’africaine » qui se vendait comme des petits pains dans les années 90, histoire de revendiquer une littérature « tout à fait rose ». 

Lydie Moudileno au Collège de France, le 2 mai 2016, vagabondssanstreves.com,
Lydie Moudileno au Collège de France, le 2 mai 2016, vagabondssanstreves.com,

§3. La dernière réflexion de Lydie Moudileno concerne un public particulier qui brise la polarité entre d’un côté le lectorat africain et de l’autre le lectorat occidental. Il existe aujourd’hui des lecteurs qu’on pourrait appeler les lecteurs de la diaspora, comme on dirait auteur de la diaspora. Pour les Afro-descendants, les Afro-politains, les Afro-péens et autres rejetons de l’empire, la littérature aussi fait penser l’Afrique de manière toute particulière. Il semble à Lydie Moudileno que pour ces Noirs de France qui n’ont jamais mis les pieds en Afrique ou dont le lien avec le pays de certains de leurs ancêtres s’est perdu pour tout un tas de raisons possibles, la littérature donne accès à l’Afrique.

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Henri Lopès, Le chercheur d’Afrique, couverture du livre de poche

Elle dit même que pour « ces chercheurs d’Afriques », pour reprendre le titre d’un roman d’Henri Lopes, ce n’est pas seulement que la fiction imagine le lieu, c’est véritablement qu’elle tient lieu d’origine, ravive la filiation. Elle pourrait même tenir lieu de retour où les retours physiques sont impossibles. Et d’ailleurs, le rôle de la littérature de jeunesse, souvent absente de nos corpus, est ici crucial, pour la manière dont elle invite différentes générations, à repenser l’Afrique.

Kidi Bebey, journaliste, éditrice, auteure, kidibebey.fr
Kidi Bebey, journaliste, éditrice, auteure, kidibebey.fr

La journaliste, éditrice et auteure française, née à Paris de parents camerounais, Kidi Bebey, en autres, en sait quelque chose. Dans Pourquoi la fiction ? Jean-Marie Schæffer l’explique avec éloquence : « la fiction nous donne la possibilité de continuer à enrichir, à remodeler, à réadapter tout au long de notre existence le socle cognitif et affectif originel grâce auquel nous avons accédé à notre identité personnelle et à notre être-au-monde. » Si Samba Diallo, le protagoniste de L’Aventure ambiguë est, pour certains d’entre nous, inoubliable, ce n’est pas uniquement parce que le roman du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane est un chef-d’œuvre, c’est aussi parce que tous ces tiraillements résonnent encore dans les aventures ambiguës du vingt-et-unième siècle.

Lydie Moudileno au Collège de France le 2 mai 2016, Facebook Achac - Officiel
Lydie Moudileno au Collège de France le 2 mai 2016, Facebook Achac – Officiel

§4. Un dernier mot sur la critique, on a souvent l’impression, à voir comme ils sont représentés dans la fiction ou à ce qu’en disent les écrivains eux-mêmes, que ceux qui se chargent d’enseigner et de disséminer les littératures africaines sont aujourd’hui engagés dans des pratiques au mieux stériles, au pire, complètement dépassées. Les critiques y apparaissent souvent sous les traits de commentateurs bornés, déterminés à étiqueter les artistes, à catégoriser les identités, à forcer les expériences singulières dans des orthodoxies, bref, à contrôler le sens de manière policière. À ces caricatures, Lydie Moudileno oppose la tâche plus généreuse, bien sûr, du critique littéraire impliqué dans la démarche nous intéressant tous qui est de penser l’Afrique et de voir là où et comment l’Afrique pense. L’universitaire, le critique littéraire, le professeur ne sont pas là, du moins a priori, pour imposer un sens au texte, mais plutôt, dans l’idéal, pour en signaler les sens possibles et productifs, avec les auteurs et non pas contre eux. Ils participent à un entendement de l’Afrique d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Lydie Moudileno conclut sur son sentiment que la littérature africaine, pour ceux qui s’en préoccupent, a répondu de manière spectaculaire et positive et prometteuse à la question : l’Afrique pense-t-elle ?

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, dans l’intervention de Lydie Moudileno, j’ai retrouvé les préoccupations des plumes antillais comme Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Jacques Roumain, Marie Vieux-Chauvet, Frankétienne, Kettly Mars, Edwige Dandicat… s’agissant de réfléchir les héritages coloniaux et le pouvoir dictatorial. La dictature qui, souvent, suit l’indépendance et se manifeste de façon évidente par de la brutalité policière, milicienne et martiale. Mais il existe un phénomène bien plus pernicieux dont l’emprise détruit la liberté d’expression et de pensée : le travail que le système politique opère à travers la langue, en détournant ou dénaturant le sens. C’est le mécanisme que le poète français Bernard Noël appelle « sensure » dans son ouvrage intitulé L’outrage aux mots. Les auteurs africains et antillais cités ci-dessus éclairent la réflexion quant à ce danger qui nous concerne tous.

Lydie Moudileno, ehess.fr
photographie de Lydie Moudileno, ehess.fr

Retrouvez sur le website du Collège de France la vidéo de l’intervention de Lydie Moudileno. Je vous invite aussi à prendre connaissance de la vidéo de Nouveaux avatars de l’écrivain dans laquelle Lydie Moudileno s’attache à cerner l’évolution du discours de Patrick Chamoiseau quant aux statuts et à la mission de l’écrivain dans l’univers antillais.

En un clic (ici), accédez au PDF des Littératures africaines francophones des années 1980 et 1990, une longue étude de Lydie Moudileno fournissant des repères et des pistes interprétatives qui donnent envie de vagabonder dans les vastes bibliothèques des Afriques. 

4 réflexions au sujet de « Lydie Moudileno ou penser l’Afrique à partir de sa littérature »

  1. Voici quelques liens pour compléter cet intéressant article :

    High Tech : le top 10 des innovations africaines
    http://www.jeuneafrique.com/164972/societe/high-tech-le-top-10-des-innovations-africaines/

    COP21 : ces innovations technologiques 100 % africaines qui bouleversent la vie de millions d’Africains
    http://www.afdb.org/fr/news-and-events/article/entrepreneurs-showcase-climate-smart-technologies-that-have-changed-lives-in-rural-africa-15183/

    Le numérique, l’avenir de l’Afrique ?
    http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-136283-le-digital-est-il-lavenir-de-lafrique-1140730.php

    La révolution numérique en Afrique est en marche
    http://www.afriquetechnologie.com/revolution-numerique-afrique-2/

    Rwanda : des drones pour distribuer du sang et des vaccins
    http://www.jeuneafrique.com/324322/societe/rwanda-drones-distribuer-sang-vaccins/

    Le Rwanda accueillera le premier drone-port au monde
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/10/12/le-rwanda-accueillera-le-premier-drone-port-au-monde_4787616_3212.html

    Certains des lecteurs se souviennent sans doute du minable « Discours de Dakar », cette allocution inutilement raciste prononcée par Nicolas Sarkozy au Sénégal. (cfr : https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_Dakar)

    Relevons l’extrait sur l’apport du colonisateur qui n’aurait pas fait qu’exploiter le colonisé :

    « Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.

    Il a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs. »

    Le colonisateur, un envahisseur en fait, s’est simplement servi sans jamais rien donner au colonisé. Il a forcé le colonisé à construire des routes et des ponts pour permettre la circulation de ses « légions », des hôpitaux et dispensaires où étaient testé les vaccins expérimentaux et des écoles où les enfants apprenaient la servitude volontaire dans un processus d’acculturation. Mais, il est certain que certains colons, invoqués comme alibi, n’étaient pas des exploiteurs voire, même, étaient des perdants de la colonisation. Les colonisateurs se sont comportés vis-à-vis de peuples civilisés militairement surclassés comme l’ont fait les envahisseurs romains vis-à-vis de ces Nations gauloises prétendument malpropres et arriérées ou les nazis vis-à-vis des peuples européens actuels.

    La Gaule comptait douze millions d’habitants avant la venue de César. Six millions périrent durant l’invasion, les autres étant asservis ou réduit au statut de paysans exploités. Bien sûr, certains y verront le prix du progrès. Au fait, qui a inventé le tonneau, la moissonneuse antique, la cotte de maille annulaire, le fourreau d’épée ? Les orfèvres et forgerons gaulois étaient-ils si arriérés? Pourtant, en Europe, tant de manuels d’histoire décrivent encore les Gaulois comme des sortes sangliers humains qui auraient été « libérés de la barbarie » par les légions romaines. En effet, l’occupant apprit aux Gaulois à bâtir ses infrastructures au rythme du fouet. Quel fardeau pour « l’homme romain » ! Et quand ces « ingrats » de Gaulois osaient se révolter, l’occupant n’hésitait pas à couper des mains et des pieds comme le fit César à Uxellodunum.

    L’expansion de l’Empire romain a profité aux patriciens et à une partie des élites locales, pas aux plébéiens et aux pérégrins. La conquête de la Sicile fut une catastrophe économique pour les paysans romains et beaucoup furent spoliés de leurs terres à la faveur du chaos généré par les Guerres puniques. Et combien de révoltes de provinces suscitées par les excès des fermiers d’impôts ? Pourtant, la colonisation romaine continue d’être présentée comme un acte civilisateur et positif alors que la colonisation germanique de l’Empire romain d’Occident serait une affreuse tragédie ayant provoqué une régression de la civilisation. Lesquels des peuples conquis se sont battus pour rétablir l’Empire romain ? Aucun. Qui a repoussé l’Empire hunnique aux Champs catalauniques ? Des Germains communément qualifiés de « barbares fédérés » par nos historiens. Si la colonisation germanique fut une telle catastrophe, que penser de la colonisation romaine ? En prolongement, que penser des colonisations qui s’en sont inspirées ? Les masses populaires des pays colonisateurs ont souffert de la colonisation autant que les populations des pays colonisés. La mise en valeur des territoires colonisés s’est fait au prix du sang et sur les deniers des prolétaires des pays colonisateurs qui subissaient, en retour, un dumping social nuisible à toute revendication syndicale.

    Mais ce n’est pas le passage le plus discutable :

    « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
    Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.
    Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance.
    Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.
    Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter et d’épouser sa propre histoire.
    Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé.
    Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
    Le problème de l’Afrique, c’est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter.
    Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. »
    Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens de conjurer le malheur, car l’Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde.
    Le problème de l’Afrique, c’est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile. »

    Au regard des dernières études archéologiques, il semble plutôt que « l’homme africain » soit entré dans une longue nuit avec l’arrivée des colonisateurs et qu’il reprend progressivement sa place après des siècles d’exploitation apocalyptiques. L’Afrique n’est pas peuplée de singes mais d’humains. Comme l’ont fait les Peuples anciennement colonisés par les Romains, les Africains sont capables de remonter la pente après des catastrophes et de progresser non uniquement grâce aux « apports » des envahisseurs mais en innovant. Les Africains n’ont pas plus à rougir de leurs ancêtres que les peuples des anciennes puissances coloniales ont à rougir des leurs.

    L’Afrique « immobile », c’est celle dont certains pays ont une croissance supérieure à celles de certains Etats membres de l’UE. C’est celle qui, bien avant l’Europe, s’est engagée sur la voie de l’économie des smartphones, du capitalisme de plate-forme, de la livraison par drone. C’est celle où les gens développent des solutions originales aux problèmes de notre temps, tantôt high tech, tantôt d’une simplicité ingénieuse. Prenons garde à ce que l’UE du futur ne ressemble pas à l’Afrique de l’imaginaire européen. Une UE qui aura été certainement dépassée par l’Afrique réelle, fière d’acquis parfois qui auront parfois disparu sans que les Européens ne s’en rendent compte.

    L’Afrique « immobile », c’est aussi celle qui fait de plus en plus souvent front commun face à l’extérieur. Et l’Europe ? L’Afrique « immobile », c’est celle qui devient de plus en plus autonome grâce à l’intégration africaine, notamment au plan militaire. Et l’Europe ? L’Afrique « immobile », c’est celle qui s’est dotée d’un « Acte constitutif de l’Union africaine », texte concis, compréhensible, respectable. Et l’Europe ? Désormais, les autorités de l’Afrique « immobile » sont courtisées par tous mais plus seulement pour leurs matières premières. Et l’Europe ? Notre UE, groupement d’Etats-satellites des USA, est impuissante face à toutes les crises: Est-elle vraiment ce bel exemple auquel les Africains devraient se conformer ?

    Il faut dire que l’Afrique « immobile », c’est celle qui, comme l’Amérique latine, a su tirer les leçons des erreurs commises dans le cadre de l’intégration européenne. Dans l’Union africaine, cette « mauvaise copie de l’UE » comme on dit en Europe, il n’y a ni comitologie, ni fonction publique communautaire en conflit croissant avec les Etats. Par contre, il aura bientôt une armée africaine alors que ce projet relève encore de l’utopie en dépit de la menace croissante exercée par la Russie. Selon l’idée du Plan Fouchet, l’UA fait de la coopération entre Etats africains, pour les Africains. Elle n’est pas parfaite mais elle a au moins le mérite d’essayer et de suivre la bonne voie.

    Au lieu de reprocher aux Africains de ressasser continuellement leur passé malheureux, essayons, nous Européens, de voir ce qu’ils ont réalisé depuis la décolonisation au lieu de nous en tenir aux préjugés sans cesse relayés. Il est facile de nier le changement en relevant chaque retard, carence ou raté des gens qu’on est habitué à railler ou mésestimer. Apprenons à juger les autres en fonction de leur évolution pour ne pas être pris au dépourvu par le changement. Nos acquis sont le résultat de nos succès, pas d’un ordre naturel immuable. La pérennité et le développement d’une civilisation repose sur l’effort et la régulation, pas sur la vanité et le déni de réalité.

  2. Après le premier tour de la primaire de la droite, j’ai bien ri en lisant « Pour l’homme africain , Sarkozy est sorti de l’histoire » un article de Jeune Afrique (cfr sur http://www.jeuneafrique.com/375996/politique/lhomme-africain-nicolas-sarkozy-sorti-de-lhistoire/).

    Le Président Sarkozy n’aura été qu’un chef d’Etat incompétent versant dans l’imitation compulsive des USA de Bush Jr et du lepenisme. Il était incapable, de surcroît, de se comporter avec la dignité requise pour sa fonction ou même d’entretenir les liens diplomatiques dont la France ne pourrait se passer. Atlantiste de la pire espèce, il était devenu infréquentable même pour le Président Obama. Au grand soulagement de l’élite de droit, le style « Berlusconi sans panache » est passé de mode et le bilan catastrophique du Président Hollande n’a pas fait oublier celui de son prédécesseur. Les primaires ont mis fin à une mauvaise plaisanterie. Définitivement, espérons-le.

    J’ai ri de bon cœur à l’annonce du « Sarkout » mais j’ai ri jaune à l’annonce de la victoire de Fillon. Surnommé « Droppy » dans les premiers temps de sa campagne, l’ancien assistant de Sarkozy a suscité l’étonnement en se muant en habile propagandiste. Il a réussi à présenter de manière attrayante le programme d’austérité, prôné autrefois par François Bayrou lors des présidentielles de 2007. Le fillonisme, c’est l’imitation compulsive du tatchérisme et du lepenisme dans un emballage politique correct qui ne défrayera pas la chronique.

    Jamais deux sans trois. Après dix ans de mauvaise présidence, les malheurs des Français, plus particulièrement des Français de couleur, sont loin d’être terminés.Mais ne soyons pas naïfs. Jacques Chirac aimait faire l’étalage de son amour des « arts premiers » mais était-il si éloigné du lepenisme que l’on se plait à le croire ? Et Juppé, son successeur ? Le système de discriminations qui accable la France ne cessera pas de sévir du simple fait qu’il soit caché derrière un paravent de bienséance. La situation odieusement exploité par l’ancien Président Sarkozy préexistait avant son ascension politique.

    Nous avons grand besoin d’une France où les titulaires de la « citoyenneté des devoirs » bénéficient aussi de la « citoyenneté des droits ». Serait-ce possible sous l’empire du fillonisme?

    1. Cher Brieuc, je partage votre analyse. N’oublions pas que, dès 2003, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a fait passer la loi sur le racolage passif. Il ne s’agissait plus de condamner, à tort ou à raison, un délit, mais une attitude, même passive, jugée racoleuse d’après l’estimation subjective du policier. Le Sénat en 2013 a abrogé une loi qui n’a fait que marginaliser les prostituées, des femmes dans des situations économiques difficiles. Quant à l’avenir, c’est-à-dire les élections prochaines, l’instrumentation politicienne de la peur dans une société d’injustices systémiques et de paupérisation grandissante, les affirmations rétrogrades alimentant les crispations identitaires laissent craindre que, oui, au pays du déni, un borgne devienne peut-être président de la République.

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