Le lien entre Papa Wemba et Clément Rosset ?
La considération des apparences !
Papa Wemba n’est plus. La Faucheuse l’a emporté en plein concert, dimanche 24 avril 2016.
Il nous reste sa musique et puis sa magnifique déclaration d’amour aux apparences en sa dignité d’étoile du mouvement des Sapeurs.
La SAPE ou la société des ambianceurs et des personnes élégantes est ce phénomène né au Congo après la Deuxième Guerre mondiale. La SAPE, une conduite superficielle ? Qui prétend ça, n’a jamais lu Paul Valéry :
Le plus profond, c’est la peau.
Ni n’a potassé le philosophe français Clément Rosset, aussi auteur du drôlatique Le Réel Traité de l’idiotie.
Clément Rosset ne se laisse pas séduire par l’appel des sirènes des concepts métaphysico-religieux. Dans un petit texte intitulé Loin de moi Étude sur l’identité personnelle, il refuse la notion d’identité personnelle qu’il juge, à la réflexion, fumeuse. En ce constat négatif, il rejoint le point de vue du philosophe François Flahault dont nous avons débattu précédemment dans l’article Be Yourself, oui mais comment ?
Au début du premier chapitre : La hantise de soi, Clément Rosset dit : « j’ai toujours tenu l’identité sociale pour la seule identité réelle ; et l’autre, l’identité personnelle pour une illusion totale autant que tenace, puisqu’elle est tenue par le plus grand nombre pour être au contraire la seule identité réelle » (p. 11).
Clément Rosset est conteur philosophique comme Papa Wemba était chantre bien vêtu de la rumba congolaise, réécouter donc sa chanson Matebu. Le philosophe français multiplie les anecdotes et les clins d’œil à la tradition idéaliste ou non afin de rappeler que cette fameuse identité personnelle vaut surtout comme laboratoire fictionnel. Une vaste région dont la littérature a fait ses choux gras, en explorant le thème du double qui relève du fantastique ou du désordre mental.
On ne s’étonnera pas que cet autre essai : Le Choix des mots jette aussi soupçon de charlatanisme sur l’idée d’intériorité cachée ou de jardin secret. Dans l’appendice II intitulé L’Espagne des apparences, il y a l’évidence suivante : […] la parole tient lieu en Espagne de garantie suffisante, tout comme l’apparence tient lieu d’existence suffisante (p.143-144).
Vous tiquez ? N’êtes pas d’accord ? Pourquoi donc ? Eh bien, parce que deux mille ans d’idéalisme platonicien et de métaphysique chrétienne nous font croire qu’au-delà de l’illusion de l’apparaître se cache l’âme ou le noyau authentique de l’être. Ce qui signifie que le corps est le tombeau de l’âme. Sauf que, non, cette croyance est un leitmotiv de poète. Quand on gratte le vernis de l’apparence, que trouve-t-on ? Rien, d’après Clément Rosset, aucune essence ou réalité enfouie (p.153) !
Comme dit Baltasar Gracian : ce qu’on appelle l’être consiste en son apparence, et en elle seule (p. 145-146).
Ce qui ne se voit point est comme s’il n’était point (p. 150)
L’être réside en sa propre façade, qui constitue son indéniable mais unique superbe (p.151-152)
Remarquons que si la culture espagnole est catholique, c’est également une ancienne société de cour. Et dans toute cour le ridicule tue. Dès lors, il importe, pour sauver sa vie, de sauver la face. Être vu et bien vu, c’est bien exister. D’où le terrible orgueil ibérique !
Orgueil aussi aristocratique que celui des sapeurs, ces dandys artistes. Les Sapeurs ont inventé un véritable art de vivre distingué. C’est une sous-culture codifiée et créative quant au rapport prodigieux au corps, donc à soi, vous l’aurez compris.
À ce stade, on ne parle plus d’ostentation, mais d’activité flamboyante. Et afin de convaincre les sceptiques, on cite Charles Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne :
Le mot dandy implique une quintessence de caractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde.
Les Sapeurs de Brazzaville : soyez élégants au lieu de faire la guerre, c’est un article de L’OBS avec Rue89, sur la complexité de la SAPE qui cite Alain Mabanckou. Je vous propose de poursuivre avec un PDF (ici) documenté sur le mouvement des Sapeurs aimablement envoyé par Alain Schwartz, un producteur de cinéma belge, grand connaisseur du Congo, qui organise, à Kinshasa, des master classes sur le sujet. Cette lecture doit être accompagnée par le mixte des meilleurs morceaux de Papa Wemba ici. Pour finir, pourquoi pas lire de Clément Rosset Loin de moi Étude sur l’identité personnelle, Le Choix des mots sont édités par les éditions de Minuit. Le traité Le Réel et son double est disponible en Folio essai Gallimard. Sans oublier, de nomadiser sur le site web du philosophe ici.
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